Ce texte a été écrit pour le Congrès de Zinal de l’UEY en 2024.

Interview avec Alberto Paganini

Conduite par Michel Wolff, crédit photo Baskin Creative Co.

Michel Wolff: Tu as certainement déjà participé au Congrès de Zinal. Quels en sont tes deux meilleurs souvenirs ou ton meilleur souvenir?

Alberto Paganini: Oui j’y ai déjà été trois fois pour donner cours. Mon meilleur souvenir date de la première fois, en 2009. Je venais d’écrire mon livre «Prana Yoga Flow», qui était en cours d’édition. Mais j’en ai déjà présenté le contenu dans les cours donnés à Zinal et les participants ont montré beaucoup d’enthousiasme. Beaucoup ont commandé le livre bien qu’il ne soit pas encore paru.

Un autre excellent souvenir est la nature et j’ai donné plusieurs leçons à l’extérieur, profitant de la proximité du torrent et de sa pureté. Et puis une série de conférences données par les swamis indiens, qui furent très inspirantes. Aussi nombre de photos que j’ai prises à Zinal en 2014 et dont certaines sont encore sur mon site web.

 

Michel: Les enseignements à Zinal sont reliés à la tradition du yoga mais doivent aussi répondre aux aspirations actuelles de pratiquants européens du XXIème siècle. C’est une dualité. Comment te situes-tu par rapport à cette dualité?

Alberto: Dans ma jeunesse, quand j’ai commencé en yoga, j’ai eu la chance d’avoir des cours avec Gérard Blitz. Ma professeure, Marie Schick, avait été formée par Desikachar et Gérard Blitz. Ainsi je me suis raccroché à une lignée qui se relie à la tradition tout en veillant à s’adapter aux personnes occidentales de maintenant. Et maintenant, nous sommes une bonne quarantaine d’années plus loin, ce qui fait que j’ai écrit mon livre et développé plusieurs systèmes (Prana Yoga Flow, Yoga du cœur …) qui sont en lien avec la tradition (la recherche du Soi) et ne perdent pas l’essence du yoga. D’autre part, les pratiquants d’ici ne sont pas comme ceux de l’Himalaya. Les circonstances et besoins d’ici sont différents. C’est pour cela que ma démarche vise à rendre le yoga accessible et effectif pour les personnes occidentales d’aujourd’hui , avec leurs problèmes actuels.

Un petit exemple de différence: quand on pratique en Inde, il fait généralement chaud. On peut donc rester longtemps dans des postures. Tandis qu’ici, surtout en hiver, il fait souvent froid. En plus, les personnes qui arrivent dans la salle en fin d’après-midi ont passé toute leur journée assises et pas comme des yogis qui auraient été actifs dans la nature. Donc je commence toujours par un échauffement. Ensuite, pour maintenir la chaleur intérieure dans la suite de la séance, j’attache de l’importance aux vinyasa  entre les postures.

Autre différence importante, dans la structure mentale: les personnes occidentales connaissent surtout leur corps physique; les orientaux partent de leurs aspects spirituels. Ici, on doit donc commencer par le corps physique et, de là, consciemment guider les personnes vers la perception du corps subtil, des flux d’énergie (avec une attention aux alignements) et puis lentement vers le calme mental et émotionnel, et -dans le silence – l’expérience de la connaissance de soi. C’est très différent de ce qui se passait en Inde dans les temps anciens, où le professeur avait une relation individuelle avec son élève, lequel avait déjà l’habitude de méditer, de s’asseoir en lotus …   

 

Michel: Comme professeur, que penses-tu pouvoir mieux transmettre à la montagne que dans le plat pays ? Quelle différence entre un cours de yoga à Zinal et en ville ?

Alberto: À Zinal il a une énergie très pure et haute, dans tout l’environnement: les montagnes, l’eau, l’air, les oiseaux … Les bruits, en particulier du torrent, sont totalement différents de ceux de la ville. Et cela rapproche plus les gens d’eux-mêmes. En plus, dans ce cadre, on rencontre surtout des participants au congrès de yoga pendant cinq jours. Le tout mis ensemble favorise le processus d’apaisement et la démarche vers soi. C’est pour cela que j’y retourne volontiers. Je suis heureux d’avoir été invité à nouveau. 

 

Michel: Ressentir le flux du prâna, est-ce à la portée de tous les pratiquants de yoga ?

Alberto: Le prâna est l’énergie de vie. Il y a prâna en chacun, parce qu’il est en vie.
Si on veut ressentir ou expérimenter son prâna, il faut y porter son attention. Si, par exemple, votre attention est orientée uniquement vers votre corps physique, ou vers votre professeur, ou vers des pensées, alors il sera difficile de ressentir votre prâna. Mais si, durant la leçon, vous êtes stimulé pour porter votre attention vers le flux de prâna, vers votre respiration (par exemple en respirant dans le bras, dans l’épaule …), vous pourrez ressentir prâna, même comme débutant. Quelqu’un qui n’y serait pas habitué ne pourrait pas y arriver immédiatement par lui-même. En étant guidé pour porter son attention de manière sélective, tout le monde peut ressentir le flux de prâna. Comme on peut sentir son cœur battre ou les mouvements de sa respiration.

Allant plus loin, si on atteint une maîtrise de prâna, on peut atteindre des choses dans notre corps, auxquelles autrement on n’aurait pas accès. Face à certains problèmes qu’on ne peut résoudre de manière matérielle, en permettant à prâna de bien circuler, on peut tout remettre en harmonie. C’est un peu comme avec une rivière, comme à Zinal, où l’eau s’écoule pure et claire, mais plus bas des pierres font barrage. Alors l’eau s’obscurcit; des déchets en tous genres s’y accumulent. Si on laisse l’eau à nouveau couler librement, elle va redevenir claire. Il se produit la même chose dans notre corps, là où prâna ne circule pas, des déchets viennent se déposer, des toxines, des poisons. En en prenant conscience, que ce soit dans les genoux, dans les coudes ou ailleurs, cela va pouvoir être de nouveau contrôlé, grâce au courant de prâna.