Cet interview a été écrit pour le Congrès de Zinal de l’UEY en 2024.
Interview avec André Riehl
par Isabelle Daulte
Tu as déjà participé au Congrès de Zinal à plusieurs reprises. Quels en sont tes deux meilleurs souvenirs ou ton meilleur souvenir ?
Je me souviens du tout premier ou du deuxième congrès ! C’était assez étrange, car très éloigné de ma perception du yoga à l’époque où je venais de quitter un mode de vie ascétique en Inde. Le congrès était très snob, et j’y voyais des comportements très conventionnels de la bourgeoisie. C’était très somptueux, il s’y trouvait des femmes en robe de soirée ou en maillot de bain assez sexy et les yogis invités d’Inde par Gérard Blitz n’en croyaient pas leurs yeux ! C’était alors très très loin de ma perception du yoga, et également beaucoup trop cher pour mon budget. Je n’y suis resté, à ce moment-là, que deux jours, ne pouvant pas dépenser davantage.
Mon deuxième souvenir de Zinal : c’était environ il y a 15 ans en arrière, quand j’étais membre bienfaiteur de la Fidhy, celle-ci m’avait invité pour y enseigner le nidrâ yoga shivaïte dont personne n’avait aucune idée. J’ai été très étonné de réaliser que précisément personne ne connaissait le nidrā et les séances ont été suivies par de plus en plus de monde, nous avons dû changer de salle plusieurs fois, car elles étaient toujours trop petites. Cela a été le départ d’une grande expansion de cet enseignement, car j’ai reçu plusieurs invitations de la part de différentes fédérations.
Tu vas enseigner à Zinal cet été: pour toi, que représentent ce grand congrès et le fait d’avoir été encore une fois invité à y enseigner?
Zinal est un congrès que j’apprécie énormément. Le lieu est magnifique et j’y ai tissé des liens d’amitié avec un certain nombre de personnes qui y reviennent régulièrement. Un rendez-vous d’amis. L’autre aspect qui me touche est qu’un certain nombre des personnes qui y viennent ont une aspiration à la profondeur et l’exploration de la dimension sacrée de la vie, avec une simplicité, dépouillée d’un imaginaire parfois fantasmatique que l’on rencontre encore beaucoup dans la communauté internationale du yoga. C’est là une grande qualité chez beaucoup de participants qui est très chère à mon cœur.
Le fait d’être invité à enseigner à Zinal se situe dans la suite des instructions reçues il y a une vingtaine d’années par mon maître spirituel, Chandra Swami Udasin. Il m’avait dit : “Il est temps à présent de commencer à transmettre.” Cela impliquait diverses obligations qui seraient trop longues à détailler ici, l’une d’elles étant de toujours dire “oui” à toute invitation à enseigner. Depuis lors, les invitations ne se sont jamais arrêtées, et à travers les cinq continents. Zinal est devenu l’un de ces rendez-vous plus ou moins réguliers pour lequel j’éprouve beaucoup de gratitude. Ce à la fois vis à vis de l’Union Européenne de Yoga et de Chandra Swami. Ce dernier est récemment décédé et je sens aujourd’hui, encore plus qu’avant, la nécessité continue de respecter ses consignes ainsi que l’engagement de maintenir vivante la transmission du nidrā yoga.
Pourquoi venir à Zinal et participer au congrès (en tant que participant) ?
Je viens à Zinal en tant que délégué de la Fédération des Yoga Traditionnels essentiellement pour participer au maintien des savoirs traditionnels auxquels l’Union Européenne de Yoga tente de se tenir.
En tant que participant, c’est également l’occasion parmi beaucoup d’autres d’y rencontrer parfois des personnes ayant consacré leur vie entière à la quête spirituelle. Nous ne sommes pas très nombreux à vivre de cette façon et après plus de cinquante ans où personnellement je vis ainsi, c’est toujours un vrai bonheur de rencontrer des frères et sœurs du dharma. Peu de monde se rend compte de ce que signifie ce mode de vie, qui n’est pas véritablement considéré dans les cultures occidentales, mais il y a là pour ceux qui le vivent à la fois une grandeur et parfois une splendeur, mais aussi une grande solitude. Rencontrer d’autres êtres habités par cette si forte aspiration au sacré en dehors de toute religion, est un soutien et un bonheur exceptionnels.
Où mettras-tu l’accent dans tes séances à Zinal? A quoi peut-on s’attendre?
L’enseignement des deux programmes quotidiens matin et soir provient de la tradition du nidrā yoga shivaïte qui est principalement une exploration du contenu de la conscience dont la finalité est une immersion dans l’état d’unité, qui est une traduction du terme “yoga”. Prana Kriya Sadhana le matin est un exercice de développement de la force de vie, “Prana” à travers 8 modes respiratoires incluant mantras, bhavas, visualisations, observations d’états intérieurs chargés de cette énergie spirituelle à laquelle tous les textes et enseignements authentiques font constamment référence depuis des siècles.
Prana Vidya le soir est un de ces exercices tenus très secrets il y a encore peu de temps dans les lignées ascétiques. Cela consiste à une projection du Prana Maya Kosha, la structure énergétique, en dehors du Ana Maya Kosha, la structure corporelle matérielle. La libération du Prana en dehors du corps physique est à la fois une expérience mystique d’un état de liberté sans objet et une préparation à l’événement de la mort lorsque celle-ci surviendra où ce que nous appelons “énergie” quittera le corps physique pour l’accomplissement d’un autre type de destinée, différent de celle liée au fonctionnement corporel. C’est un exercice d’attention et de concentration soutenu s’adressant à des yogis et yoginis ayant déjà une expérience de la sadhana, la pratique du yoga.