Ce texte a été écrit par Reto Zbinden pour la publication Yoga Textbuch – Yoga Journal Verlag, CH-2613 Villeret – www.yoga-journal.ch
L'Union Européenne de Yoga et le congrès de yoga de Zinal
Circonstances de l'élaboration du texte : En décembre 2013, l'Association suisse de yoga (SYV) a été acceptée comme membre à part entière de l'Union européenne de yoga et, en même temps, l'Université de Yoga de Villeret a été autorisée à délivrer aux diplômé.e.s de son programme de formation de quatre ans le label “certifié UEY”. La plupart des informations historiques de cet article sont basées sur le mémoire de Séverine Desponds Meylan, “L'enseignant de yoga européen entre adhikara et pédagogie” (2007), écrite sous la direction de la Professeur Maya Burger à l'Université de Lausanne. Une autre source, en particulier pour certaines photos, a été la publication anniversaire de l'UEY “40 years of Zinal” compilée par Susanne Bohrmann-Fortuzzi.
Gérard Blitz, une biographie exceptionnelle du XXe siècle
Si l’on veut aborder l’histoire de l’Union européenne de yoga et de ses désormais traditionnelles réunions à Zinal, on ne peut éviter de s’intéresser d’abord au leader charismatique de la période fondatrice, le Belge Gérard Blitz (1912-1990).
Gérard Blitz dans ses dernières années
Gérard Blitz, fils d’une mère catholique et d’un père juif ayant connu une certaine gloire en tant qu’athlète, devient diamantaire à l’âge adulte. Athlète de talent, il boycotte les Jeux olympiques organisés par l’Allemagne nazie en 1936, ce qui constitue en quelque sorte un prélude à son engagement dans la résistance contre le national-socialisme. Après l’invasion allemande de la Belgique, il réussit à mettre sa famille à l’abri, d’abord en France, puis en Suisse, tandis que lui-même continue à lutter clandestinement contre l’occupant en transmettant des messages de la Belgique vers l’Angleterre. Son affinité avec la Suisse neutre, qui s’est probablement développée à cette époque, devait revêtir une importance particulière pour l’œuvre de sa vie.
Fondateur du Club Méditerranée et inventeur de la “formule club”
Après la guerre, en 1949, Gérard Blitz, qui n’avait pas pris de vacances depuis quinze ans, se rend en Corse pour se détendre et a l’idée de la “formule club”, un type de vacances radicalement nouveau. Les vacances en club sont censées être une façon de faire plus simple, un peu moins raffinée et moins coercitive que les vacances à l’hôtel. Toutefois, la véritable réussite créative a consisté à accorder une importance centrale au “divertissement” proposé aux client.e.s, un divertissement qui devait conduire les vacanciers à de nouvelles activités (partagées) et à de nouveaux comportements. Dans le même temps, la communication et l’interaction des clients entre eux devaient être renforcées autant que possible. Pendant la journée, par exemple, il serait possible d’apprendre de nouveaux sports et, à l’heure des repas, tout le monde serait assis à de grandes tables, ce qui permettrait des échanges animés. Le soir, le programme pourrait inclure le partage de jeux de théâtre et autres.
En 1950, il réalise son idée pour la première fois sur l’île de Majorque en utilisant des tentes militaires de la Seconde Guerre mondiale mises au rebut. Son concept, qu’il appelle “Club Méditerranée”, connaît un succès fulgurant et, après avoir pris le risque d’être dépassé par les événements en 1954, il s’associe à Gilbert Trigano. En l’espace de 30 ans, le “Club Méd” devient la plus grande entreprise de tourisme au monde. Au fil du temps, les villages de tentes se sont transformés en villages de chalets, puis en centres de vacances spacieux, avec plus de 100 établissements dans le monde.
En France, où l’entreprise était basée, les vacances en club étaient extrêmement populaires et, parfois, jusqu’à vingt pour cent de la population française passait ses meilleures semaines de l’année de cette manière. Dans les pays germanophones, le concept a bien sûr été copié, le “Club Robinson” ayant été fondé en Allemagne en 1970, mais ce type de vacances n’a jamais été très populaire et n’a jamais attiré qu’un pourcentage à un chiffre. En revanche, de nombreuses idées du “Club Méd” mentionnées ci-dessus ont été reprises plus tard dans des formules de vacances classiques.
Parmi l’avant-garde spirituelle des années soixante
Cependant, cette énorme réussite dans le monde des affaires – jusqu’aux années 1980, sa carrière était considérée comme l’une des dix plus grandes carrières commerciales du XXe siècle – n’a jamais complètement absorbé Blitz. Dès les années 1950, il a découvert l’œuvre de Romain Rolland, qui a nourri ses aspirations spirituelles. Plus tard, il s’initie au yoga auprès d’Eva Ruchpaul. Au milieu des années soixante, il a commencé à introduire le yoga au sein du Club Méd. Il a ainsi joué un rôle important dans la diffusion du yoga en Occident, car, à proprement parler, c’est par le biais du Club Méd que le yoga a été présenté pour la première fois à un public aussi large, et non à de “petits groupes conspirateurs” comme c’était le cas auparavant.
Eva Ruchpaul
Eva Ruchpaul, née en 1928, a souffert de la poliomyélite à l’âge de 18 mois, puis des séquelles qui l’ont laissée handicapée à 80 %. Vers 1950, elle découvre le yoga comme moyen d’améliorer sa santé. Plus tard, elle devient professeur de yoga et auteur de livres de yoga qui sont très lus, surtout en France. En 1970, elle a commencé à proposer à Paris des formations de professeurs de yoga en trois ans, que, selon son institut, plus de 1 000 personnes ont suivies à ce jour.
Cependant, Gérard Blitz ne s’intéressait pas seulement au Hatha Yoga mais avait aussi des intérêts spirituels très larges. Séverine Despond Meylan le compte parmi l’avant-garde spirituelle des années 1960. Il a appartenu au cercle de J. Krishnamurti et plus tard à celui du maître zen Taisen Deshimaru, qui vivait en France.
Les rencontres avec J. Krishnamurti à Gstaad (Oberland bernois), qui attiraient environ 3000 personnes par an.
Les célèbres rencontres alpines avec Krishnamurti à Saanen, dans l’organisation desquelles il a joué un rôle important en faisant partie du comité à partir de 1967 et où de nombreuses personnalités étaient toujours présentes, l’ont probablement incité à organiser des congrès de yoga à Zinal. Dans la Fondation Krishnamurti, fondée en 1968, Gérard Blitz était l’un des sept membres du conseil d’administration, chargé du conseil financier. Par ailleurs, le monde des idées de Krishnamurti a été une source importante pour Gérard Blitz, notamment en ce qui concerne ses préoccupations pédagogiques. Krishnamurti avait fondé des écoles en Inde, aux Etats-Unis, au Canada et en Angleterre, dans lesquelles sa vision d’une pédagogie non-directive devait être réalisée. Ces préoccupations devaient être partiellement transférées au monde du yoga par Gérard Blitz, puisqu’il s’agissait pour lui et pour la future UEY d’élaborer des critères pour la formation des professeurs de yoga.
Après avoir démissionné du conseil d’administration de la Fondation Krishnamurti en 1973, Gérard Blitz s’est tourné de plus en plus vers le zen et a été initié comme moine zen par son maître. C’est également son maître qui l’a encouragé à rapprocher le yoga et la méditation (zen) et en effet, bien qu’issu du sport de haut niveau, Gérard Blitz a promu tout au long de sa vie un yoga très méditatif qui conduit finalement à l’immobilité.
Le Maître Zen Taisen Deshimaru était un autre professeur de Gérard Blitz et l’a initié comme moine zen.
C’est probablement en 1965 que Gérard Blitz a rencontré le professeur de yoga T. Krishnamacharya et plus tard son fils Desikachar à la “Rishi Valley Krishnamurti School”. A ce moment-là, Krishnamacharya était déjà dans la phase où il enseignait une pratique corporelle très douce, qui convenait très bien à la nature méditative de Blitz.
T. Krishnamacharya
Le village de Zinal est entouré de montagnes majestueuses, au fond du Val d’Anniviers.
Zinal – un lieu pour le yoga en Europe
Si Gérard Blitz se retire peu à peu de la vie professionnelle à partir du milieu des années soixante pour laisser plus de place à ses préoccupations spirituelles, il reste longtemps le moteur créatif du Club Méd. C’est notamment lui qui choisit les sites des nouveaux centres de vacances. Le club avait déjà ses premières stations alpines, puis Gérard est venu à Zinal – il l’a raconté plus tard dans une conférence rétrospective – et a tout de suite eu l’idée d’y organiser des rencontres européennes de yoga. Le village de Zinal n’existait pas encore au sens moderne du terme. C’était un hameau abandonné avec seulement six habitant.e.s et aucune infrastructure. Profondément ému par la beauté du paysage, il descendit dans la vallée pour discuter avec les autorités de la manière dont Zinal pourrait être développé.
Un vaste complexe de vacances a ensuite été ouvert en 1970. En 1971 et 1972, Gérard Blitz organise une sorte de congrès précurseur sur le thème de la méditation puis, en 1973, le premier congrès de yoga de l’UEY. [1]
La fondation de l’UEY et ses domaines d’activité
Gérard Blitz n’a exercé aucune fonction au sein du premier conseil d’administration de l’UEY, fondée en 1972. Cependant, on peut supposer qu’il était influent en coulisses, car deux de ses ami.e.s proches, André van Lysebeth (Belgique) et Claude Peltier (France), formaient le noyau du comité de l’UEY. L’Allemagne et la Suisse étaient également déjà représentées.[2]
En 1974, lors du deuxième congrès de Zinal, Blitz a été élu président et a exercé cette fonction jusqu’à peu de temps avant sa mort.
Le pionnier belge du Yoga André van Lysebeth (1919-2004) était actif dans la fondation de l’UEY et dans l’organisation des premiers congrès de Zinal
Outre l’organisation des congrès de Zinal, divers domaines d’activité ont été envisagés pour l’UEY au fil du temps, tels que
- maintenir un bureau de liaison pour le yoga en Inde.
- commander des traductions de textes sources.
- publier des livres et des magazines.
- organiser des cours de formation continue, par exemple un cours de formation à distance en sanskrit, pour lequel le professeur français Jean Varenne a été engagé.
- organiser des voyages de groupe ou, plus généralement, combiner le yoga et le tourisme.
En fin de compte, peu de ces choses ont été réalisées. L’idée de base était qu’un “yoga européen”[3] devrait également être adapté aux formes traditionnelles indiennes en termes de formation: les programmes possibles, les lectures obligatoires, les certificats, etc.
L’indologue français Jean Varenne (1927 – 1997) qui était très renommé a assisté à plusieurs rencontres à Zinal et a également donné un cours de sanskrit pour l’UEY.
Ce qui est apparu et a été occasionnellement révisé au fil du temps, c’est ce que l’on appelle le “programme minimum européen”, c’est-à-dire une exigence minimale pour les programmes de formation des professeurs de yoga. Il a été désigné comme “programme minimum” parce qu’il a été reconnu comme important que chaque école puisse définir sa propre orientation et cultiver son propre style. Si une école travaillait conformément à ce programme, elle pouvait être reconnue par l’Union européenne de Yoga à condition d’appartenir à l’une de ses associations membres. Au fil des décennies, cette norme (élevée) est devenue une référence permanente dans le domaine du yoga en Europe. Rien qu’en Allemagne, une quarantaine d’écoles enseignent selon cette norme.
Zinal à l’époque de Gérard Blitz
De 1973 à 1989, les congrès de Zinal ont porté la signature de Gérard Blitz à tous points de vue. Il en a été le moteur créatif, le président organisateur, l’hôte du Club Méd et, enfin, le financier, qui est toujours intervenu avec ses fonds privés quand il y avait un trou dans le budget. Il a mis au service du congrès son vaste réseau de contacts dans les milieux spirituels de l’Inde, du Japon, du Tibet, etc. Une autre particularité était la combinaison du congrès avec la formule du Club Méd. L’ensemble du centre de villégiature, qui compte environ 600 lits, a été mis à la disposition des hôtes du yoga. La salle de théâtre de l’hôtel a été utilisée pour les conférences, les ateliers ont été organisés dans des salles adjacentes et, bien entendu, les repas ont été pris en commun, le buffet entier étant parfois transporté dans le grand parc les jours de beau temps.
Retrouvailles entre pratiquant.e.s de Yoga sur les bords de la Navizence près de Zinal.
Des pratiquant.e.s. de Yoga dans le centre du village.
En 1974, les organisateurs et intervenant.e.s (de gauche à droite): François Lorin, André van Lysebeth, Claude Peltier, Babacar Khane, Dr Lonsdorfer, Nil Hahoutoff .
Année après année, le congrès affichait complet. Parfois, il y avait jusqu’à 1 000 inscriptions, ce qui signifiait que des centaines de personnes intéressées devaient être refusées. Les participant.e.s ont souvent qualifié le congrès d’absolument unique ou de colossal ou ont choisi d’autres superlatifs. En effet, à l’époque, il n’y avait rien de comparable dans le monde. Là encore, Gérard Blitz a été un pionnier visionnaire en avance sur son temps. Ce qui a finalement aussi contribué à l’expérience, c’est le paysage de montagne à couper le souffle, qui l’avait déjà impressionné à l’époque où il cherchait un nouvel emplacement pour un centre de villégiature.
Impressions personnelles
En 1989, année mémorable où s’est tenu le dernier congrès organisé par Gérard Blitz, ainsi que de nombreuses autres années, j’étais personnellement présent et j’ai pu faire l’expérience de cette ambiance particulière. Voici comment cela s’est passé : lors d’un séjour en Inde, où j’avais fait la connaissance de Sri Satchitananda Yogi, le Yogi silencieux, on m’avait dit qu’il était parfois invité en Suisse, notamment par Gérard Blitz au congrès de Zinal. A l’époque, je ne connaissais ni Gérard Blitz, ni Zinal, et je n’étais membre d’aucune association. Cependant, l’idée de revoir le Swami en Suisse et d’approfondir ma pratique avec lui me séduisait.
Cependant, il n’a pas été si facile d’obtenir une place. J’ai contacté un bureau à Genève, où l’on m’a dit qu’il n’y avait que 35 places pour la Suisse et qu’elles étaient attribuées en priorité aux membres. Il faut peut-être dire aussi qu’environ deux tiers des participant.e.s. étaient français.e.s, notamment parce que Gérard Blitz, qui enseignait aussi à Zinal, y était très populaire et, en tant que fondateur du Club Méd, était considéré comme une figure nationale, même s’il était belge.
Finalement, on m’a accordé une place et c’est ainsi qu’un jour d’août, j’ai monté la route sinueuse de Sierre jusqu’au Val d’Anniviers et finalement jusqu’à son village le plus éloigné, Zinal. Le club attendait déjà à l’entrée avec les premiers stimuli excentriques de ses “Gentils Organisateurs”, conformément à la formule du club qui consiste à toujours surprendre légèrement les invité.e.s avec des choses inhabituelles afin de promouvoir l’animation générale et de fournir du matériel pour les conversations entre les membres.
Dès le premier soir, Gérard Blitz s’est présenté devant la séance plénière et l’on pouvait deviner qu’il n’avait probablement plus beaucoup de temps à vivre, car il était déjà devenu complètement chauve à cause de la chimiothérapie. Mais, mentalement encore très clair, il a parlé ce soir-là et à d’autres occasions de l’histoire du congrès et a présenté les intervenant.e.s. On sentait qu’il s’agissait d’une personnalité dont émanait quelque chose de très sympathique. Quelqu’un au cœur ouvert, que le Swami de Madras appelait parfois un mahatma, et d’autres qui l’ont connu disaient qu’il traitait tout le monde, même lors de contacts éphémères, comme s’il y avait entre eux une longue et profonde amitié.
between them.
Un événement dans le parc du Club Méditerranée en 1988. A l’extrême gauche Gérard Blitz, et à côté de lui Heidi Staben, la compagne de ses dernières années, et ensuite Raoul Lenz, qui a succédé à Blitz. En bas à droite, le swami de Madras et debout au micro son compagnon Sathyavati.
Le congrès était riche et de grands noms étaient présents. Par exemple, j’ai participé à des ateliers avec feu Indra Devi, qui était très connue pour ses livres et sa clientèle à Hollywood.[4] Swami Satchidananda, un disciple de Sivananda qui a créé un “village de yoga” en Virginie, était également présent et a donné des conférences. Il y avait également un lama tibétain renommé et le swami de Madras mentionné plus haut. Même parmi les intervenant.e.s qui n’avaient pas une réputation mondiale, aucun de ceux que j’ai rencontrés n’a été décevant. Bref, il s’agissait vraiment d’un programme extraordinairement riche et de haut niveau.
Sri Satchitananda Yogi (1910 – 2006), le Yogi Silencieux de Madras, a souvent été invité à Zinal. Ici il enseigne une pratique du matin.
Indra Devi (1899 – 2002) et Swami Satchidananda de la Virginie (1914 – 2002) ont été invité.e.s au congrès de 1989.
Un jour que nous étions réunis, Gérard Blitz a déclaré que le moment était venu pour lui de se retirer. Il a présenté Raoul Lenz, de Suisse romande, comme son successeur. Raoul Lenz était avocat de profession et membre du conseil d’administration de Zinal depuis 1977. L’homme désigné s’est levé et a prononcé un bref discours sur ses intentions, dont je ne me souviens plus en détail. En tout cas, il semblait détendu et confiant dans sa tâche, de sorte que tout le monde a supposé que la pérennité de l’UEY et du congrès de Zinal serait bien assurée après le départ du fondateur.
Zinal, un petit village avec quelques maisons anciennes bien conservées.
La difficulté de la succession et la grande crise de 1990
En effet, Gérard Blitz décède peu de temps après et la nouvelle équipe est livrée à elle-même. Avant d’aborder les événements qui ont suivi, voici quelques commentaires généraux sur les difficultés d’une telle transition. Des problèmes similaires ont été rencontrés à l’Institut Kaivalyadhama, à l’Ashram Sivananda, aux conférences Eranos, à la Société Théosophique et dans d’autres institutions après la mort d’un pionnier. Cela s’applique encore plus aux entreprises, si bien que l’expression “le chaos suit le pionnier” est devenue un lieu commun dans la théorie de l’organisation.
La raison en est que le pionnier, en raison de sa position particulière et probablement aussi de ses capacités spéciales, dirige une organisation en se fiant entièrement à son intuition. Si cela se produit sur une longue période, les membres du deuxième niveau perdent peu à peu la capacité de penser par eux-mêmes et, plus important encore, les conflits, en particulier à ce deuxième niveau, n’ont pas d’espace et sont, dans une certaine mesure, contenus.
Il en a été de même avec Gérard Blitz et l’UEY. Sa parole faisait loi, non pas parce qu’il était particulièrement autoritaire, mais parce qu’il dépassait de loin les autres.
Comme nous l’avons dit plus haut, c’est sa créativité, son réseau de relations, ses compétences sociales et son argent qui ont tout fait avancer et qui ont tout fait tenir. À cela s’ajoute sa carrière, qui sortait du commun au XXe siècle et qui a suscité partout le respect et l’admiration. Tout cela doit être dit ici pour éviter de donner l’impression que la crise de l’UEY pourrait être imputée personnellement à ses successeurs. Dans une certaine mesure, la crise était déjà prévue et elle aurait de toute façon éclaté de manière plus ou moins violente.
Le yoga par les Européen.ne.s pour les Européen.ne.s
La gestion des commissions a certainement été une tâche très difficile pour Raoul Lenz. Les opinions les plus diverses étaient exprimées, des intérêts particuliers étaient défendus avec vigueur, des factures impayées étaient réglées, etc. En ce qui concerne le congrès, un changement de cap important devait être amorcé et, à partir de ce moment, plus aucun maître indien ou tibétain ne devait être invité. On estimait que le temps était venu pour le yoga européen d’être représenté uniquement par des Européen.ne.s. C’est pourquoi le réseau de contacts unique de Gérard Blitz n’a non seulement pas été maintenu, mais a été délibérément considéré comme dépassé et laissé de côté.
Le plus petit dénominateur commun était que les intervenant.e.s de Zinal pourraient à l’avenir être désigné.e.s par les associations membres. Un programme a donc été mis en place, composé principalement de personnes ayant acquis des mérites au sein des différentes associations ou y ayant occupé une fonction importante.
Ce que l’on oubliait, c’est qu’un tel programme ne serait pas suffisamment attrayant pour attirer un grand nombre d’amateurs de yoga au congrès, en l’absence de grands noms de renommée internationale. C’est ainsi que d’une année à l’autre, le nombre de participant.e.s a chuté pour atteindre une centaine de personnes. Outre les raisons évoquées ci-dessus, le fait qu’un certain nombre de personnes s’estimant lésées dans les compétitions ont plus ou moins ouvertement boycotté le congrès a probablement aussi joué un rôle.
Je me souviens avoir sympathisé avec un groupe de Finlandais en 1989. Bien que les voyages soient encore très chers à l’époque, ils ont déclaré qu’ils viendraient à Zinal dix fois par an. Mais l’année suivante, seul le président finlandais a fait le voyage. Dans d’autres pays, la situation était similaire et seuls deux ou trois visiteurs étaient présents. Enfin, les Français, qui affluaient par centaines à Zinal, n’étaient plus guère visibles. L’assistance la plus stable est venue de Suisse et le noyau dur d’Allemagne.
Un Waterloo financier
Tout cela a naturellement conduit à une situation financière désastreuse, d’autant plus que l’UEY avait conclu avec le Club Méditerannée les mêmes contrats que les années précédentes, c’est-à-dire qu’elle avait loué l’ensemble du centre de vacances, y compris le personnel, pour une semaine. Même sur place, il était clair que la situation avec le Club Méd était très tendue et, quelque temps plus tard, on a appris que l’UEY avait accumulé une montagne de dettes d’un quart de million de francs français, soit environ 100 000 francs suisses.
Personne n’a voulu assumer la responsabilité de ces dettes, ce qui est compréhensible. L’ensemble du conseil d’administration a démissionné et a disparu. Sous cette épée de Damoclès, personne n’a osé prendre la relève. Le risque d’être pris personnellement à partie par les créanciers semblait trop grand. L’UEY a donc atteint la vallée des larmes et s’est préparée à la faillite, dans le but de fonder une nouvelle association qui, une fois l’union liquidée, serait en mesure de poursuivre ses activités sans dettes.
Au tout dernier moment, l’UEY a été sauvée de ce scénario déshonorant par la famille Trigano, unique propriétaire du Club Méd, qui a déclaré qu’elle renoncerait à toutes les sommes dues. Ceci par respect pour Gérard Blitz, qui avait à cœur le mouvement du yoga en général et l’UEY en particulier.
Un nouveau départ avec l’office du tourisme
L’UEY s’en est donc tirée à bon compte, mais la grande question était de savoir ce qui allait se passer ensuite. Il était clair qu’il n’était pas question de réserver à nouveau le Club Méd.[5] Plusieurs scénarios ont été évoqués, comme le déplacement du congrès dans un autre lieu ou dans un autre pays, ou son annulation pure et simple. D’autres ont déclaré que les réunions de yoga à Zinal, avec leur histoire, pourraient devenir une marque, comme le Festival de Cannes ou le Festival de jazz de Montreux, et que pour cette raison, le lieu devait absolument être conservé.
Dans cette situation instable, où tout est à nouveau en jeu, un petit groupe emmené par Jacqueline Lacour de Genève prend les choses en main. Le congrès reste à Zinal, mais la formule change fondamentalement. La municipalité met à disposition une salle polyvalente (pour les événements principaux) et des accords sont conclus avec les différents hôtels pour l’utilisation de salles plus petites pour les ateliers et les événements parallèles. Les participant.e.s devaient ensuite réserver leur propre logement, que ce soit dans des hôtels, des apparthôtels ou des chalets.
On a également essayé de rendre le programme plus attrayant et, bien sûr, on a fait des économies partout où c’était possible à partir de ce moment-là.[6] On ne voulait plus élire un nouveau président et personne n’avait vraisemblablement le courage de se présenter à cette fonction. Le destin du programme a donc été confié à un “bureau” composé de quatre membres.[7] C’est ainsi que le congrès a pu survivre. Bien qu’il ait fallu pratiquement une décennie pour retrouver un nombre stable de visiteurs (plus de 200), l’équilibre financier a été maintenu pendant tout ce temps. Le nouveau concept présentait également des avantages : les participant.e.s disposaient d’un plus grand choix d’hébergement et pouvaient choisir le type de logement qu’ils souhaitaient. En revanche, le sentiment d’appartenance et l’ambiance des premières années se sont perdus, car le congrès était désormais dispersé dans tout le village.
Bien que les années 1990 aient été une période difficile pour Zinal, l’intérêt pour l’UEY en tant qu’organisation est resté intact. Les organisations de la période fondatrice sont restées fidèles et de nouvelles se sont jointes à elles. Il a également été possible d’ancrer de plus en plus solidement le label de qualité de la reconnaissance de l’UEY. L’UEY a également reconnu qu’à une époque où les prix de yoga sont décernés à la légère, il est important qu’une institution ayant une large portée et de nombreuses années d’expertise maintienne un niveau d’exigence élevé.
Participation de la Fédération suisse de yoga
Après que le projet de la SYV d’adhérer à l’UEY ait échoué au milieu des années 90, notre conseil d’administration a décidé en 2010 de se rapprocher à nouveau et de déposer une demande d’adhésion. Parallèlement, Rodolphe Milliat, régulièrement invité à Villeret, avait pris certaines fonctions au sein d’une association française, notamment en s’impliquant dans l’organisation du congrès de Zinal. Il s’est également appuyé sur les ressources de notre association. Ce fut encore plus le cas lorsque Roland Haag rejoignit le comité d’organisation en 2013, alors que la SYV était devenue membre correspondant. C’est ainsi que Ravi Ravindra a été invité en tant qu’invité d’honneur. Au même moment, notre association a accepté de distribuer des dépliants du congrès pour l’UEY parmi ses membres, ce qui signifie que nous étions également bien représentés dans le public. Maintenant que la SYV est devenu un membre à part entière, cette évolution se poursuivra.
Remarques finales
Après avoir longuement évoqué la crise du début des années 90, il est important de souligner que la UEY a réussi à éviter son effondrement complet et à retrouver progressivement des eaux plus calmes, ce qui n’était pas une fatalité. En ce qui concerne Zinal, les organisateurs peuvent désormais compter sur un nombre stable de participant.e.s.
Néanmoins, ce nombre ne semble pas énorme si l’on considère qu’il existe actuellement de nombreuses associations bien organisées comptant des dizaines de milliers de membres[8] et si l’on se souvient qu’il y a quarante ans, lorsque la scène du yoga était au moins dix fois plus petite, un millier d’amateurs de yoga voulaient venir à Zinal. À bien des égards, Zinal a aujourd’hui perdu son caractère unique. La scène du yoga est en proie à un grand nombre d’événements qui impliquent non seulement des associations de différentes couleurs, mais aussi un certain nombre de touche-à-tout pleins d’imagination. Depuis le départ de Gérard Blitz, Zinal n’a pas eu de grands noms à son programme. Pourtant, on peut penser que le potentiel est encore important. Non seulement Zinal, comme on le voit, a une histoire unique de superlatifs, mais il peut aussi se targuer d’un concept sophistiqué que l’on ne trouve nulle part ailleurs et qui est finalement capable d’offrir à ses hôtes le charme pittoresque exclusif d’un monde montagnard unique.
1 Au cours des premières décennies, l’UEY s’appelait encore “Union européenne des associations nationales de yoga”. L’idée était que chaque pays aurait une seule association de yoga et que ces associations formeraient l’UEANY. Au fil du temps, cependant, la diversification du mouvement du yoga a conduit à la formation de plusieurs grandes associations dans des pays individuels, comme la France, qui souhaitaient rejoindre l’organisation faîtière européenne. Pour rendre cela possible, le nom a été changé en UEY au début des années 1990.
2 Lorsque l’on parle de la participation de la Suisse à l’UEY, on se demande immédiatement si Selvarajan Yesudian n’y a pas participé, car son école était de loin la plus importante du pays à l’époque et il était lui-même la personne de référence pour le yoga en Suisse, pour ainsi dire. En fait, il s’est toujours méfié du système associatif et n’a donc jamais adhéré à une association, pas plus qu’il n’a accepté d’invitation au congrès de Zinal. De plus, la participation suisse à l’UEY à cette époque était essentiellement un groupe de professeurs de yoga de Suisse romande, alors que Selvarajan Yesudian était surtout présent en Suisse alémanique.
3 L’européanisation du yoga et son adaptation à notre culture était une idée dans l’air du temps, d’autant plus que des penseurs comme C.G. Jung s’étaient également exprimés dans ce sens.
4 Vers la fin de sa vie, Indra Devi a travaillé en Amérique du Sud. Dans ses ateliers à Zinal, on pouvait sentir qu’elle s’inspirait de la psychologie humaniste, ce qui l’amenait à animer, entre autres, divers exercices de dynamique de groupe.
5 Au milieu des années 1990, alors que de nombreux centres de vacances étaient devenus obsolètes, le Club Méd a été fondamentalement restructuré. Les centres les plus rentables ont été rénovés en profondeur et les moins rentables ont été fermés. Le Club Méd de Zinal a cessé d’exister en 1997 et la propriété a changé de mains à plusieurs reprises depuis lors, la plupart du temps pour servir de “tourisme social”.
6 Depuis les premiers congrès, la tradition voulait que les intervenant.e.s ne reçoivent pas d’honoraires (uniquement des frais de déplacement), ce qui permettait également de maîtriser les coûts.
7 De nombreuses années plus tard, un conseil d’administration a de nouveau été mis en place.
8 Si vous faites le calcul, vous verrez qu’il doit y avoir des millions de praticien.ne.s qui suivent des cours avec les membres des associations de l’UEY.
Enseignant.e.s à Zinal des vingt premiers congrès 1973-1994
(Aucun congrès n’a eu lieu en 1976 et 1978)
La liste est basée sur une compilation réalisée par Séverine Despond Meylan à partir des flyers du congrès. Il est possible que certaines des personnes citées aient annulé leur participation après l’impression du flyer.
Allais, Claude
Amaldas (Swami)
Amarananda (Swami)
Amritananda (Swami)
Anantharaman, Prof.
Angelini, Renata
Aubry, Serge
Barneda, Joseph
Besret, Bernard
Bhole, M. V., Dr.
Blache, Jacques
Blitz, Gérard
Bohle, Dr.
Bonanoni, Renée
Borri Renosto, Manuela
Bouanchaud, Bernard
Bouchet, André-Jean
Bräutigam, Uwe
Brosse, Thérèse
Brügger-Lenz, Anne
Cain, John
Calzolari, Sandro, Dr
Carlebach (Rabbin)
Chaiouin, Rémy
Chalamanch, Jaume
Chaloin, Rémy
Chandra, Frank A.
Chariarse, Leopoldo
Chauchard, Paul, Prof.
Chidananda (Swami)
Chittananda, Pat
Clement, Brian C.
Clerc, Roger
Cogni, Giulio
Crisinel, Adéle
Dagpo Rinpoche
Daouk, Malek
Das, Prof.
Davis, John
Davy, Marie-Madeleine
De Bastos Freire, Maria-Helena
De Coulon, Jacques
De Fallois, Phiiippe
De Hemptine, Yvan
Déchanet (Père)
Delloye-Taveneau, Emilie
Desai, Amrit
Descamps, Marc-Alain
Deshimaru, Taisen
Desikachar, T.K.V.
Desjardins, Arnaud
Devi, Indra
Diez Alegria, Jose Maria
Distelbarth, Margret
Dodeur, Frank
Doffe, Michel
Dolibois, Eléonore
Dolibois, Heinz
Dupuis, R. P.
Etevenon, Micheline
Farah, Renata
Fauconnier, Roeland
Faure, Robert
Feuerabendt, Sigmund
Feuerstein, Colette
Fiel, Carlos
Fiel, Emilio
Flak, Micheline
Flusser, Prof.
Forget, Maud
Fuchs, Christian
Gaboriau, Françoise
Garnier, Jean-Claude
Genton-Sunier, Noutte
Geshe Rabten
Gomès, Eric
Gottman, Dr.
Gottmann, Dr.
Gottwald, Leonore
Grimm, Béatrice
Hafez, Mounir
Hahoutoff, Nil
Hammond, Gennie
Harf, Anneliese
Harvey, Paul
Heintz-Tomatis, Jackie
Herbert, Jean
Hinze, Oscar Marcel
Hridayananda (Swami)
Jäger, Willigis
Kafka, Peter
Kaquet, Marie-Christine
Keller, Carl
Kendall, Di
Kent, Howard
Kespi, Dr.
Keyseriing, Arnold
Keyserling, Wiilie
Khane, Babacar
Kieffer, Marie-Jeanne
Kiekens, Narayan
Kireet, Joshi
Knoepfel, Elisabeth
Kok, Henny
Kondana, Vénérable
Kozak. Sandra
Kröner, Roswitha
Kuwar, Anil
Lacour, Jaqueline
Lama Sherab
Larsen, Christian
Lassalle (Père)
Lawlor, June
Lawlor, Michael
Leloup, Jean-Yves
Leshel, Tessa
Linssen, Robert
Lobo, Rocque
Lonsdorfer, Jean
Lorin, François
Maillard, Philippe
Mangeart, Yves
Maréchal, Claude
Martin, Pierce
Masquelier, Ysé
Matus, Thomas (Père)
Maupilier, Maurice
Michaël, Tara
Milierand, Yvonne
Miradevi
Mohan, A.G.
Murray, Muz
Nischalananda (Swami)
Nussbaum, Dr.
Nuzzo, Antonio
Ochida (Père)
Oruc, Guvenc
Oshida (Père)
Oswald, Peter
Padoux, André
Palaci, Moiz
Palaci, Renata
Patt, Wanda
Peltier, Claude
Peters, Helga
Pilloud, Marguerite
Pistre, Bernadette
Plenckers, Jos
Prabhakar
Provost, Colette
Rajagopalan
Ramaswami, Usha
Rasiah, Jaya
Rasiah, Padma
Rast, Marie-Antoinette
Rech, Roland
Reckmann. Christa
Redard, Gilles
Reguant, Montse
Rerolle, Bernard
Reznikoff, legor
Riga, Dr.
Roost, Jean
Rosenberg, Marshall
Roux, François
Ruchpaul, Eva
Ruperti, Alexander
Saintcore, Irène
Samadarshan
Satchidananda (Swami)
Satchidananda Yogi
Satyananda (Swami)
Schaeffer, Doris
Schlemmer, Andrée
Schulz-Raffelt, Friedrich
Sée, Claude
Selvanizza, Antonietta
Selvanizza, Eros
Sheikh Amad, Faridah
Sherab Dorje, Lama
Sillmann, Rob
Simon, Helga
Singh, Jaspal
Sogyal Rinpoché
Solberg, Rachel
Spanoghe, Dr.
Spiegelhoff, Werner
Sribhashyam, T. K.
Staben, Heidi
Stobbaerts Maitre
Suma (Soeur)
Sundaram, P. K.
Suntola, Tuomo
Tatzky, Boris
Tavi, Arvo
Taylor, Renée
Thakar, Vimala
Thévenot, R. P.
Thomson, Ken
Tlakaelel, Francisco
Tokuda, Ryotan
Tomatis, Jackie
Tomatis, Patrick
Tsendru Rinpoche
Unger, Carsten
Van Lierde, Krishna
Van Lysebeth, André
Van Lysebeth, Denise
Varenne, Jean
Venkateshananda (Swami)
Vidyananda (Swami)
Vogel, Werner
Wegnez, Henri
Weiss, Hartmut
Whiton, Narani
Wild, Peter
Wuillemier, Ferdinand
Yogamudrananda (Swami)
Zapf, Jos
Zbinden, Reto