par Natalia Mogolivets
Enseignante de yoga, danseuse. Fondatrice du plus grand centre de yoga et de danse de Lviv, Shakti Yoga Shala, ainsi que du premier Yoga Park en Ukraine. Créatrice du Natya Yoga pour danseurs et danseuses. Présidente de la Fédération Ukrainienne de danse et de la section du Conseil de Danse International sous le patronage de l’UNESCO à Lviv.
Un abri en temps de guerre
Une histoire personnelle de bénévolat
Lorsque la guerre a éclaté en février 2022, je n’aurais jamais pu imaginer à quel point elle allait nous changer en profondeur, ainsi que notre espace et notre pays tout entier. Lviv, autrefois imprégnée de sérénité culturelle, est devenue un refuge pour des milliers de personnes fuyant la mort et la destruction. Notre centre de yoga et de danse, Shakti Yoga Shala & Sensation Dance Studio, s’est transformé en abri, premier refuge chaleureux et sécurisant pour tant de personnes.
Ces premiers jours de guerre nous apparaissent comme un souvenir obsédant, surtout à la gare par cette froide nuit d’hiver. Les gens étaient partout, portant des couvertures, des sacs, des enfants… Ils étaient épuisés et terrifiés. Nous avions l’impression d’être dans un autre monde, un monde qui n’avait rien à voir avec la vie telle qu’elle était la veille. La ville était emplie du désespoir des personnes qui n’avaient nulle part où aller.
C’est à ce moment-là que j’ai compris que notre studio devait devenir un abri. Le yoga n’est pas seulement une pratique sur le tapis ; c’est une façon d’interagir avec le monde, une philosophie que nous mettons en œuvre à travers nos actions. En ce sens, c’est devenu notre véritable yoga, une pratique de dharma, de service à la société, et de karuna – compassion pour autrui, car nous sommes devenus une source de soutien durant cette terrible période.
Nous avons d’abord ouvert nos portes aux élèves et aux familles de notre fédération de yoga. Ils sont restés dans le studio et ont rejoint notre équipe de bénévoles. Ensemble, nous avons commencé à accueillir les nouveaux arrivants, à préparer des repas, à apporter des vêtements, de la literie et d’autres produits de première nécessité. Chaque nouvelle personne était porteuse de sa propre histoire : certain.e.s avaient vu leur maison détruite, d’autres avaient perdu des êtres chers, et certain.e.s ne pouvaient toujours pas croire qu’ils-elles devaient fuir.
Le plus difficile, c’était la nuit. Tous les abris de la ville étaient remplis, mais les trains continuaient d’amener des personnes qui n’avaient nulle part où se reposer ou se réchauffer. Nous nous relayions pour monter la garde, ouvrant nos portes à tous ceux et toutes celles que nous pouvions accueillir. Ce furent les nuits les plus sombres, remplies des visages obsédants de ceux et celles qui étaient frappé.e.s par la peur et le chagrin, et notre seule mission était de leur faire sentir qu’ils/elles n’étaient pas seul.e.s.
Après plusieurs semaines, nous sommes passés du statut d’abri à celui de centre humanitaire à part entière. Les salles où se déroulaient avant les chants, les répétitions de danse et les méditations sereines se sont transformées en espaces de stockage et en habitations temporaires. Nous avons rassemblé de la nourriture, des médicaments et du matériel pour bébé – tout ce que nous pouvions – et les avons distribués aux zones – autant militaires que civiles – qui en avaient besoin.
Je me souviens de comment nous envoyions de la nourriture à nos amis de Tchernihiv, qui étaient coupés de tout approvisionnement. Nous apportions le ravitaillement le plus près possible, enfilions de la nourriture dans des bouteilles en plastique et les envoyions en aval, donnant à ces personnes une petite lueur d’espoir de survie.
Chaque jour apportait son lot de nouvelles terrifiantes : des êtres chers tués ou faits prisonniers, des enfants kidnappés, envoyés en Russie et ainsi séparés de leur famille, et d’autres blessé.e.s. Nous parlions avec ces personnes, les écoutions, les aidions à trouver un certain équilibre – tout ce qui était possible dans de tels moments. Les élèves de notre école de yoga, autant les mien.ne.s que celles et ceux d’autres enseignant.e.s, sont devenu.e.s une véritable force humaine. Je leur suis reconnaissante chaque jour, car ensemble nous avons pu soutenir tant de personnes, en leur offrant un lieu de repos et en leur permettant de réfléchir à où se rendre ensuite.
Aujourd’hui, en octobre 2024, notre studio a repris ses activités normales, mais nous continuons à offrir notre aide en envoyant des secours sur les lignes de front, en rassemblant du matériel médical pour les soldats, en organisant des cours d’auto-défense et de combat, des séances de yoga et des cours de premiers secours. Nous sommes encore en train de nous remettre de tout ce que nous avons enduré et de tout ce que nous continuons à affronter, étant donné que la guerre est source de souffrances et de chagrins inimaginables.
Je vous suis profondément reconnaissante de nous avoir soutenu.e.s durant ces temps et de continuer à le faire. Votre compassion nous donne la force de continuer.
Avec tout le respect que je dois à la communauté de yoga et à nos lecteurs et lectrices.