This text was written for the Zinal Congress of the EUY in 2024
PRĀṆA KRIYĀ SĀDHANĀ
By André Riehl, photo credit Pexels
La tradition du Trika, plus communément appelée « shivaïsme du Cachemire » apparue au VIIIème siècle par l’entremise de Vasugupta fit apparaître la notion de spanda, la vibration, celle-ci faisant le lien entre le principe de conscience, Śiva et sa mise en mouvement, Śakti, l’énergie.
Cette tradition, d’une immense richesse, expose des sommets du savoir et des profondeurs insoupçonnables dans leur mise en pratique.
A l’intérieur du très grand corpus de l’exploration du contenu de la conscience appelé nidrā yoga, il existe une démarche très peu connue en dehors des milieux ascétiques, la Prāṇa Kriyā Sādhanā.
Souvent traduite par la pratique (sādhanā) de la mise en mouvement (kriyā) de l’énergie (prāṇa), elle consiste à déployer huit grandes activités vibratoires dans le prāṇa maya kośa (structure changeante énergétique), une des cinq structures organisant l’être humain.
Le terme prāṇa, aujourd’hui très répandu dans la communauté du yoga, possède de nombreux sens tels que souffle de vie, respiration, vitalité, esprit, mesure de temps correspondant à l’énonciation de 10 syllabes, nom du 6ème jour de Brahmā selon les Purana, l’esprit de l’ensemble des fonctions oniriques dans le Vedanta, l’inspiration poétique dans le Sri Bhagavatam…
Sri Aurobindo lui donnait le sens de ” Force de vie “, Swami Vivekananda celui de “Principe de vie ” et Swami Shivananda en parlait en tant que “Force cosmique créant l’univers “.
S’il me fallait aujourd’hui y donner un sens personnel, je nommerai le prāṇa comme la nature intime du mouvement dont résultent toutes les formes de la création.
Dans la tradition du Trika, on insiste davantage sur la notion de vibration, spanda, dont une traduction acceptable serait une activité, un mouvement qui ne se déplace pas, et prāṇa qui est un mouvement qui se déplace.
Il nous est difficile dans la culture non indienne de traduire avec précision les nuances qui sont monnaie courante dans la description ou l’explicitation des phénomènes énergétiques qui organisent non seulement les savoirs, mais aussi les expériences vécues dans le secret de l’intériorité.
Prāṇa Kriyā Sādhanā n’échappe pas à cette difficulté, et nous essaierons ici de décrire brièvement sa place dans l’ensemble du nidrā yoga et l’organisation de sa systémique.
Il s’agit essentiellement d’activer intensément huit types vibratoires et de les relier entre eux afin de mettre en mouvement l’énergie potentielle appelée l’Enroulée ou Kuṇḍalinī possédant la faculté de se déployer naturellement, donnant alors accès à des connaissances du processus du Vivant demeurées auparavant inconnues. Un éveil de la Conscience-Énergie.
La sādhanā (exercice pratique) est assez complexe et d’une rare précision avec des éléments corporels, respiratoires, mentaux, phonématiques, ainsi que des concentrations colorées et des images symboliques.
La part corporelle contient des positions fixes et des mouvements s’accélérant jusqu’à un rythme très rapide, la part respiratoire étant une forme où sont étagés tout un nombre de modes de souffles allant du plus paisible au plus dynamique.
La concentration y joue un rôle très important où s’organisent la répétition mentale de formules sonores simples (mantra), la visualisation de formes colorées (yantra) et d’images symboliques.
Dans sa partie la plus avancée, considérée traditionnellement comme secrète, la sādhanā aborde des états dévotionnels (bhāva) dans lesquels les vibrations ou énergies sont considérés comme des déesses que le yogi va adorer selon des rites complexes faisant des oblations et des offrandes des différentes parties des cinq maya kośa (structures changeantes de la matière corporelle, de l’énergétique, du mental, du psychisme et des états extatiques).
L’étude de la Prāṇa Kriyā Sādhanā est un long processus, une sorte d’ascèse quotidienne exigeante réclamant une forte motivation dans la recherche du sens profond de la vie, non seulement personnelle, mais également universelle.
Elle ouvre à des modes relationnels mettant ensemble des éléments très discrets et presque inaperçus de notre personnalité avec des éléments gigantesques organisant le processus du vivant universel.
De nombreuses expériences qualifiées d’intérieures peuvent s’y produire, l’enseignement insistant sur le fait de ne pas s’y attarder, celles-ci étant considérées comme précisément des kriyā, cette fois au sens de nettoyage ou élimination ou encore purification.
Toute expérience est ici vue comme un phénomène passager sans grande importance, puisque juste une élimination, l’insistance étant mise sur la faculté de percevoir, la conscience non impliquée et non identifiée à ce qui est transitoire.
En dernier lieu, l’ensemble des vibrations organisées en énergie unique favorise une ouverture de perception, une ouverture de conscience traditionnellement qualifiée de vaste, silencieuse et heureuse, indépendamment de toute activité matérielle ou immatérielle, et donc libre de toute condition et de tout conditionnement.
Cet état de perception libre est alors utilisé pour une autre pratique du nidrā yoga, reliant śithilīkaraṇa (relaxation) et dhāraṇā (concentration) pour commencer l’exploration du contenu de la conscience elle-même.
André Riehl
Somapa – 13 Mars 2024