Ce texte a été rédigé à la demande de l’association française  Fédération Inter-enseignements de Hatha-Yoga (FIDHY) et a été publié dans le “FIDHY Infos N°94 Juillet-Août 2023“.

Qu'est-ce qui est spirituel dans le yoga ?

par Martin Dojčár

Il existe de nombreuses contradictions dans les interprétations actuelles du yoga. L’une des plus surprenantes est celle qui concerne l’apparente divergence entre les aspects physiques et spirituels du yoga. Comment la pratique “physique” est-elle reliée à la visée spirituelle du yoga, qu’elle soit décrite comme étant l’éveil, la réalisation de soi et autres termes ?

L’importance accordée au « corporel » peut très bien s’expliquer par le simple fait que la visée spirituelle du yoga est à peine imaginable pour nombre de passionnés du yoga, alors que les aspects physiques de la yoga sādhana sont, en revanche, moins abscons. Le yoga postural se révèle donc comme une description conceptuelle appropriée à la situation – s’il s’agit encore de yoga, de toute évidence.  

Les bénéfices en terme de santé et de bien-être figurent parmi les attraits les plus fréquemment cités du yoga postural. Il est prouvé que le yoga peut avoir des effets sur la santé physique et mentale de ses adeptes. B.K.S. Iyengar, par exemple, a conforté cette affirmation en assurant que le yoga lui avait rendu la santé sur le plan physique. Cependant, le fait est que les bienfaits pour sa santé ne lui sont apparus qu’au bout de sept ou huit années de pratique intense. Et cette dernière se déroula sous la supervision directe de Śrī Krishnamacharya, un des précurseurs du très populaire enseignement du yoga postural.

Mais limitons cette réflexion à la question plus fondamentale du sens de la spiritualité dans le yoga ? Est-elle résolue de manière irréfutable par l’introduction dans la pratique du yoga de la notion de Dieu, Īśvara, Krishna, et ainsi de suite ? Dieu est un concept religieux. Il peut très bien être employé en théologie et en philosophie religieuse, mais peut-il rendre suffisamment compte de ce qui se déroule ici ? Alors, qu’est-ce qui est spirituel dans le yoga ?

L’aspect spirituel du yoga peut être décrit par la notion de l’intériorisation ou du retournement de la conscience. Ces termes font référence à la conscience, notamment à  « un mouvement inverse de l’attention tournée des objets vers elle-même » par lequel la conscience revient à elle-même et se reconnaît comme conscience (voir Dojčár, Self-Transcendence and Prosociality, Frankfurt am Main : Peter Lang, 2017, p. 147). La célèbre définition de la finalité du yoga par Patañjali  en fait état qui énonce : « Le yoga est l’inhibition des fluctuations du mental/conscience – yogaś-citta-vrtti-nirodhah » (Yoga Sutras 1:2), et « alors le Voyant est reconnu comme tel – tadā-draṣṭuḥ-svarūpe-‘vasthānam » (Yoga Sutras 1:3).

Selon cette définition structurante, le but du yoga consiste à arrêter ou à cesser (Sa. nirodha) les mouvements du mental ou de la conscience (Sa. citta vrtti – ” ondulations de la pensée ” ou ” fluctuations mentales “, qui sont aussi des ” fluctuations de la conscience “) afin que la conscience témoin (Sa. draṣṭuḥ – “le Voyant” ; dans d’autres traditions de la philosophie indienne, il est appelé ātman, sāksin ou purusa) soit reconnue comme telle (Sa. avasthānam), c’est-à-dire comme détachée de toute activité mentale. Lorsque le processus du “joug” du yoga est accompli, la conscience repose (Sa. avasthānam) en elle-même (Sa. svarūpe – “état naturel”).

Dans le yoga, l’immobilisation ou la cessation (Sa. nirodha) des mouvements du mental/conscience est intentionnellement basée sur la manipulation au moyen de l’énergie vitale (Sa. prāna). Par la pratique appropriée du yoga, les flux de la force vitale sont sous contrôle. Le processus de contrôle du prāna (Sa. prāṇāyāma au sens étroit du terme ; dans un sens plus large, tous les aspects de la pratique du yoga traitent du contrôle du prāna). Concrètement, cela signifie que prāna est accumulé (également stabilisé) dans le corps grâce aux yama, niyama et prāṇāyāma correctement exécutés, et qu’il est ensuite concentré (également canalisé et transformé quant à sa qualité vibratoire) par les méthodes d’ekāgratā (Sa. concentration en un point ou concentration en un point). La concentration de prāna est exécutée par le biais de pratyahara (retrait de prāna et de la conscience des organes sensoriels), dhāranā (concentration) et dhyāna (enstase). La concentration de l’énergie vitale est vécue comme l’être (Sa. sat – “être, être”) et se manifeste en tant en un champs électromagnétique à des hautes fréquences de tension électrique. Ekāgratā se manifeste lorsque ce type de champ électromagnétique ( pure êtreté ) est établi comme les bases sur lesquelles la conscience peut siéger et se tenir sans obstruction ( citta vrtti ). L’être et la conscience sont alors spontanément fusionnés dans l’unité, et l’état équanime de samādhi est atteint. Dans cet état, la conscience est reconnue comme telle, c’est-à-dire dans sa pure essence, c’est-à-dire sans contenu, comme la source même de l’identité de chacun – le Soi (draṣṭuḥ, ātman, sāksin, purusa). 

Dans le yoga, l’immobilisation ou la cessation (Sa. nirodha) des mouvements du mental/conscience est intentionnellement basée sur la mobilisation de l’énergie vitale (Sa. prāna). Par la pratique appropriée du yoga, les fluctuations de la force vitale sont maîtrisées. Le mécanisme de contrôle du prāna (Sa. prāṇāyāma au sens étroit du terme ; dans un sens plus large, tous les aspects de la pratique du yoga traitent de la maîtrise du prāna). Concrètement, cela signifie que prāna est accumulé (également stabilisé) dans le corps grâce à la mise en œuvre adéquate des yama, niyama et prāṇāyāma, et qu’il est ensuite concentré (également canalisé et transformé dans sa qualité vibratoire) par le biais des méthodes d’ekāgratā (Sa. concentration en un point ou unicité de la concentration). La concentration de prāna est accomplie à travers pratyahara ( le retrait du prāna et de la conscience des organes sensoriels), dhāranā (la concentration), et dhyāna (l’enstase). La concentration de l’énergie vitale est vécue comme état d’être (Sa. sat – “être, être”) et se présente comme un champ électromagnétique  de haute fréquence. Ekāgratā survient lorsque ce type de champ électromagnétique ( pur état d’être ) est établi en tant que les fondements sur lesquels la conscience peut se poser et se tenir sans obstruction ( citta vrtti ). L’être et la conscience sont alors spontanément absorbés dans l’unité, et l’état équanime de samādhi est réalisé. Dans cet état, la conscience est reconnue comme telle, i.e. dans son essence pure, i.e. sans contenu, comme la source même de l’identité de tout être – le Soi (draṣṭuḥ, ātman, sāksin, purusa).

 En d’autres termes, “l’inhibition des fluctuations du mental/conscience”, dont parle Patañjali, n’est pas un acte intéressé mais revêt une signification spécifique essentielle pour la compréhension du yoga : c’est le “portail intérieur” derrière le rideau de la réalité phénoménale, ou plutôt de ses représentations psycho-mentales, vers la “base” omniprésente de la réalité phénoménale – l’être unique qui fonde la pluralité des êtres ; le fond immobile sur lequel tout apparaît ; la lumière de la conscience qui éclaire tout ce qui est.

Tous les membres du yoga classique servent ce même objectif – l’intériorisation culminant dans le calme (de l’esprit ; dans l’expérience manifestée comme énergie vitale stabilisée, centralisée et transformée dans sa fréquence) et la clarté de la conscience (pure conscience). Ils contribuent tous, à leur manière, à sa réalisation. Et c’est ce type d’intériorisation qui rend le yoga spirituel.

A propos de l’auteur : Le Docteur Martin Dojčár PhD, est professeur d’études religieuses à l’université de Trnava et rédacteur en chef de la revue Spirituality Studies. Ses recherches portent sur le yoga, le mysticisme comparé et le dialogue interconfessionnel. Il pratique  le yoga intégral depuis de nombreuses années.