Ravi Ravindra à Zinal 2023

par Denis Perret

Ravi Ravindra nous a enseigné sa compréhension de la spiritualité lors de sessions de deux heures chacune des cinq jours du congrès, en anglais avec une excellente traduction en français. Il a traité des Yoga Sutra les 3 premiers jours et de la Bhagavad Gita les deux suivants. Il enseigne aussi à partir des autres traditions : le bouddhisme, le christianisme, Rumi, les philosophe grecs, le taoïsme.

 

Chaque session commençait avec 30 minutes de concentration sur le corps énergétique. Insistance sur la décontraction du corps dans une assise spacieuse. « Je suis un des 7 milliards d’humains sur la Terre, qui est à la périphérie d’une galaxie standard (La voie lactée), dans un univers de plus de deux milliards de galaxies ». Le conférencier propose ensuite qu’on se dise ceci: « Ce n’est pas moi qui me suis créé ». Puis il nous suggère le sentiment de gratitude du fait d’être là, parfaitement créé, et qu’on redevienne conscient que le souffle qui va et vient en nous est le souffle du Divin, pour finalement sentir ce souffle divin sous forme d’expiration qui descend le long de la colonne et d’inspiration qui remonte le long de la colonne. Le corps vibre, et reçoit une multitude de vibrations.

 

Une fois établi.e.s dans cette qualité d’intériorisation nous étions à même de recevoir un discours limpide, très profond avec des anecdotes pittoresques du long parcours spirituel de l’enseignant (auprès de Krishnamurti, d’une disciple de Gurdjeff etc. …). La quête spirituelle consiste à se libérer du mental (moi moi moi !) pour accéder à la connaissance qui est reçue par la perception directe. En effet penser n’est pas la route efficace vers la connaissance. Krishnamurti disait « Je ne réfléchis pas, je regarde ». Le yoga est très utile pour développer la qualité d’attention requise à la perception directe.

 

Ravi Ravindra présente certains aspects originaux de son enseignement sur les Yoga-sutra. Purusha (l’Esprit) est un éclat du Divin en nous. Selon la tradition de l’Orient, Dieu est en nous et autour de nous (en tout objet de la manifestation Prakriti). Une fonction essentielle de Prakriti est de permettre à Purusha de manifester ses qualités. Purusha se manifeste à différents niveaux dans Prakriti (minéral, végétal, animal, humain) et chez l’humain différents niveaux de conscience (raffinement de l’âme) lui permet de rayonner davantage Purusha, jusqu’à faire l’expérience consciente de Purusha lui-même.

 

« Notre âme est amphibie, elle peut s’enfoncer dans la matière ou s’élever jusqu’à l’Esprit ». Plotin

 

Les questions essentielles qui portent en elles une énergie de transformation sont: Qui suis-je ? Que suis-je ? Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi ma singularité au sein de cette infinie universalité ?

 

« Dieu veut plus se connecter à nous que nous à Lui ; nous fuyons plutôt que nous laisser embrasser par Lui ».

La méthode yoguique pour sentir la Présence divine consiste à sentir la substance énergétique (d’où les 30 minutes de pratique au début de chaque conférence).

 

Ravi Ravindra décrit ensuite le yoga du début du 2ème chapitre des Yoga Sutra : tapas la chaleur qui nettoie, mais sans la violence de l’ascèse. Svadhyaya la connaissance de soi : tout ce qui est à l’intérieur de nous est aussi à l’extérieur de nous ; en allant vers la lumière divine en nous, nous rencontrons aussi notre ombre, c’est périlleux, d’où l’utilité d’avancer avec d’autres chercheurs spirituels. Pour Ishvara pranidhana l’évangile de Mathieu (19:29) est cité pour « abandonner l’ego et ses attributs pour pouvoir suivre Jésus dans son expérience Divine ».

 

« Si tu meurs avant de mourir, alors tu ne mourras pas quand tu mourras » sagesse Soufi.

 

Il est rappelé que les religions ont dénaturé les enseignements premiers. L’évangile « non-officiel » de Thomas sur les enseignements de Jésus est très inspirant.

Ce yoga du début du 2ème chapitre des Yoga-Sutra conduit au samadhi, qui est la délivrance de soi-même : vivre l’instant présent sans tout ramener à soi-même, et qui conduit également à la diminution des cinq klesha (sources de souffrance) qu’il va énumérer. Asmita c’est s’identifier et donc s’éloigner de l’océan de l’être. Quand on s’éloigne du Divin on s’éloigne aussi des autres. Cependant il faut un ego d’une certaine force pour faire quoi que ce soit.  Conseil aux parents « ne détruisez jamais l’ego de vos enfants ».

 

Avidya c’est ne pas voir le réél. Le sage voit directement les choses.

Raga et dvesha sont des identifications qui renforcent l’ego asmita.

Abhinivesha : l’inconnu qui génére la peur, et c’est aussi l’attachement à ce que l’on a peur de perdre. A propos de la mort, Krishnamurti (et Socrate dans les écrits de Platon) dit : « Ne craignez pas ce dont vous n’avez aucune idée ».

 

Le conférencier insiste ensuite sur les deux premiers membres de l’asthanga yoga, les cinq yama et les cinq niyama comme moyens de vivre avec justesse. Le premier des yama, ahimsa plus que la non-violence est « la non violation de l’ordre juste ». A méditer en profondeur. Ensuite satya la vérité ; « notre vérité » dépend du chemin spirituel accompli. Le sage qui perçoit le réél en direct connait la vérité ultime.  Asteya, ne pas s’approprier ce qui est à autrui : «Ceux qui jouissent des dons des Dieux et qui ne rendent rien sont de véritables voleurs » Bhagavad Gita 3:12. Brahmacarya c’est résider en Brahma : la plus haute réalité, l’absolu, la vastitude illimitée et éternelle, l’énergie illimitée, … C’est bien plus large que le seule restriction de la sexualité ; la force sexuelle est très puissante et nourrit l’ego. Cependant c’est grâce à elle que nous sommes là !

« S’il existait une autre énergie aussi forte que la sexualité, je n’aurais pas pu accéder à l’éveil » Bouddha.

 

Aparigraha ne pas s’attacher. « Ceux qui sont addicts à l’ignorance sont dans l’obscurité ; ceux qui sont attachés aux méthodes spirituelles sont dans une obscurité encore plus grande » Upanishad.

 

Dans la Bhagavad Gita Krishna définit le yoga comme étant l’abandon des fruits des actes (karma phala tyaga). Ultimement nous devrons lâcher prise sur le désir d’arriver à Moksha (la libération spirituelle) ou au Nirvana.

Le premier des niyama, sauca est la pureté : tout est Un mais pour s’élever la pureté aide. Samtosha le contentement ; se contenter de peu d’efforts est un peu trop valorisé en Orient et pas assez en Occident. A un niveau plus subtil samtosha est à vivre au cœur de l’action.

Les trois derniers niyama, tapas, svadhyaya, Ishavara pranidhana ont été présentés précedemment.

Les huit membres du yoga sont une spirale que l’on parcourt incessamment et qui se bonifie. Peu à peu on passe de la réaction à l’action libre : on échappe à la somme de nos conditionnements pour être agi par purusha.

 

La forme de pratique pour l’homme moderne c’est la recherche de l’action parfaitement ajustée, sans tension d’attachement au résultat de cette action. Nous sommes le réceptacle d’une infinité de fréquences et d’influences ; l’effet se produit à travers moi. On s’applique, et si c’est le succès c’est par la grâce divine.

 

Le conférencier présente ensuite la Bhagavad Gita, texte daté entre 500 et 150 avant JC. Elle relate les prémices d’une bataille, et derrière l’allégorie du champ de bataille c’est la bataille intérieure entre deux niveaux de compréhension de notre psychisme qui est décrite. Arjuna est conscient de la nature Divine de son ami le roi Krishna (donc le niveau le plus profond). Reconnaître sa nature la plus profonde, Divine, permet de regarder la nature la plus profonde de l’autre. La guerre qui débute fait suite à de multiples négociations et tentatives de paix qui ont toutes échouées à cause de la perversité de l’ennemi.

 

Krishna refuse de combattre mais se propose d’être le cocher du char d’Arjuna. Au début du récit Arjuna, guerrier jusque là infaillible, se place entre les deux armées, avant qu’elles ne s’élancent l’une contre l’autre, pour observer les protagonistes. Ils reconnaît chez l’ennemi des cousins, des oncles, des instructeurs vénérés ; soudainement ému par cette vision, le doute l’assaille, son mental s’emballe dans une argumentation fallacieuse et il défaille, s’écroulant au fond de son char et renonçant à combattre. Son cocher Krishna va alors l’interpeller vivement ; Arjuna va alors lui demander de l’aide pour y voir plus clair, et Krishna va lui dispenser les enseignements les plus profonds du yoga au travers des dix-huit chapitres, jusqu’à le remettre dans l’action juste.

 

Krishna commence par enseigner ce qu’est le bon Dharma (responsabilité, obligation, loi, nature essentielle). Il y a un dharma spécifique à chaque individu ; pour faire son dharma il faut être en adéquation avec qui l’on est en tant qu’âme (se connaître, cf svadhyaya). Le dharma personnel étant défini, il faut faire Yajña : sacrifier l’attachement à ses sens. Alors on peut faire Yoga qui purifie, rend clair, et permet ainsi de faire la volonté de Krishna au travers du juste Karma (action).

 

Krishnamurti : « Tant que tu as le choix tu n’es pas libre »

« On croit avoir le choix parce qu’on est pas clair sur la chose à faire ».

 

Bhagavad Gita chapitre 4:31 « Ce monde n’est pas fait pour celui qui ne veut pas pratiquer le sacrifice »

 

Ravi Ravindra est le commentateur du monde moderne qui a fait ressortir le Buddhi Yoga du texte (cité trois fois dans les chapitres 2:39 ; 10:10 ; 18:57). Le Buddhi yoga est le yoga « chef d’orchestre » qui articule et harmonise entre eux les autres formes de yoga enseignées dans la Bhagavad Gita : Karma Yoga, Bakhti Yoga, Jñana Yoga.

 

La buddhi est la dimension la plus élevée du mental (ou psychisme) ; c’est la conscience intégrée, la parfaite prise de conscience ou encore l’âme. Chaque buddhi est spécifique et individuelle, mais aussi connectée à l’universel. La buddhi pilote discrètement mais sûrement le mental, et à travers lui le corps.

 

La clé du Karma Yoga est le « non-agir dans l’agir, ou l’agir dans le non-agir ». Krishna dans la Bhagavad Gita 3:30 «Soumets-moi toutes tes actions, tout en étant conscient de ton soi le plus profond, sans indulgence, toi-même, combats, mais sans agitation »

 

Pour réussir dans l’action il faut la bénédiction des dieux qui sont en nous et autour de nous.

« Un sage ne fait rien mais tout est fait au travers de lui » Tao te king.

 

Précision sur la loi du karma :

  • « comme on est, de telle sorte on agit »
  • « comme on agit, de telle sorte on devient »

 

C’est une loi qui repose sur l’attachement. On est conditionné par tout notre passé et on s’attache à lui. On réagit plus que l’on n’agit. La difficulté de la transformation spirituelle c’est qu’il faut se libérer de « soi-même ».

 

En observant tranquillement comment on agit (ou plutôt réagit), la prise de conscience amène une transformation de qui l’on est. On va pouvoir répondre par une action appropriée au lieu de réagir. La transformation spirituelle nous permet d’échapper à la mécanique du conditionnement.

 

Parallèle entre les visions respectives de l’Inde et des traditions abrahamiques du Divin :

 

  • En Inde pas de mythe de la création, mais un mythe d’émanation : le Divin se manifeste en émanant le monde manifesté et en y reposant sous la forme d’une étincelle divine soutenant chaque objet de cette manifestation (du grain de poussière à l’amas de galaxies). Tout est Un.
  • Traditions abrahamiques (Judaisme, Christianisme, Islam) : le Divin est un créateur qui siège « très haut », qui crée des hiérarchies intermédiaires et qui crée un monde séparé de Lui. Le Divin et la créature sont distincts. Et toute chose est unique. Maître Eckart a affirmé que « la créature est une avec son créateur » et il a été excommunié. L’évangile de Jean relate que quand Jésus a dit « Moi et le Père sommes Un » « ils voulurent le lapider ».

 

Krishna dans la Bhagavad Gita : « Toute créature est un mélange entre le champ (prakriti) et le connaisseur du champ (purusha). Moi, je suis le connaisseur du champ ».

 

Krishna dans la Bhagavad Gita 2:20 « Le Soi ne naît ni ne meurt ; Il ne disparaît pas pour ne plus jamais revenir. Sans naissance, sans fin, éternel, principiel, Il n’est pas tué quand on tue le corps ».

 

Krishna dans la Bhagavad Gita  2:27 « En vérité, pour qui est né, la mort est certaine et pour qui est mort, la naissance est certaine ».

 

Jusqu’au Vième siécle après JC, le monde occidental enseignait la ré-incarnation, processus évolutif qui permet de se rapprocher d’une pleine manifestation du Divin.

 

Pythagore, Platon et Plotin ont été fortement influencés par la pensée de l’Inde.

Platon fait dans ses écrits dire à Socrate « Vous semblez savoir ce qu’il y a derrière la mort, comme si vous saviez que c’est pire qu’ici ! Etant donné que je ne sais pas, je suis libre ».

 

Krishna est celui qui a la peau sombre, symbole de profondeur en Inde. Arjuna a la peau claire, ce qui symbolise sa relative superficialité au coté de son instructeur. La Bhagavad Gita est une allégorie de la relation entre notre superficialité et notre profondeur. Krishna et Arjuna sont en nous. Sans Krishna la guerre ne peut être gagnée ; sans Arjuna la guerre ne peut être menée. Cependant Krishna dit qu’Il agit inlassablement, sous peine de voir les mondes s’annihiler.

 

« Prenez la compréhension de l’Orient et le savoir de l’Occident et partez à la recherche » Gurdjeff.

 

 

En conclusion Ravi Ravindra nous suggère : « Que les chercheurs ne restent pas collés à une idée ou à une tradition ; nous sommes maintenant dans une culture globale où les gens voyagent et s’impliquent dans des pays étrangers, tel le premier ministre anglais d’origine indienne. Dans ce contexte global il est important de définir les enseignements et directions spirituels de base. Il y a des tendances communes et des différences importantes, ne pas s’imaginer que parce que l’autre est différent il est dans le faux, mais voir comment nous pouvons apprendre quelque chose de nouveau d’un point de vue différent. Ma suggestion pour tout chercheur sérieux est de voir que toute expression de la vérité est limitée par les modalités de l’expression, aussi informons-nous sur les modalités de l’expression pour entendre au-delà de cette modalité. Aussi prenez les deux traditions de l’Est et de l’Ouest mais ne restez pas collés ni à l’une ni à l’autre. »

 

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