Cet article a été publié dans le FIDHY Infos N°95 décembre 2023, les 1ère et 2è parties ont été publiées dans les FIDHY Infos N°93 et 94

Toumo - 3è et dernière partie : la place de la spiritualité

par Anne Laurençon avec la collaboration de Philippe Djoharikian

 

Gtum-mo, que nous simplifions en toumo, est le yoga de la chaleur intérieure. Les pratiques de Toumo sont codifiées par Naropa (12ème siècle), avec cinq autres branches de pratiques yogiques : yoga du corps illusoire, yoga de la claire lumière, yoga du rêve, yoga du monde intermédiaire et yoga du transfert de conscience. La compréhension de la nature de l’univers et de la réalité est une quête spirituelle qui se décline au Tibet sous des formes contraintes par leur culture. Aujourd’hui, en occident, on peut trouver différentes approches de Toumo, Yoga du froid, Yoga du Feu intérieur, de la chaleur intérieure, et il existe des propositions de stage de nombreuses personnes qui sollicitent les pratiquants de Yoga.

 

« Trouver le confort dans l’inconfort. » Maurice Daubard

 

Au Tibet, sous la direction d’un lama ou d’un Rinpoche, les novices durant 101 jours de minuit à 3h du matin, s’installent à même le sol ou bien sur la neige, dévêtus, et doivent sécher un, deux ou trois draps mouillés en produisant de la chaleur avec leur corps. Cette pratique est totalement spirituelle, les initiés le sont après la retraite de trois années en cellule. Il va sans dire que pour cette pratique les novices doivent être tournés totalement vers le divin ; la dévotion est là pour rendre leurs actions efficaces, ils doivent la vivre comme un sacrifice, une purification. Ici pas de compétition, pas d’ego, il faut savoir mourir pour renaître, il faut savoir disparaître et devenir transparent pour laisser place à la lumière

Maurice conduisait des groupes en montagne, pour que les étudiants découvrent cet espace sacré, préservé des activités humaines. C’est important d’être au contact de la nature sauvage afin de révéler notre nature la plus profonde, de profiter de l’énergie du vivant et de la beauté qui est aussi une source de nourriture. Il proposait d’installer cet espace sacré, Jokhang (terme tibétain pour le temple), pour les pratiques. Puis d’étendre cet espace à son tapis de yoga, et jusqu’à l’existence quotidienne. Vivre selon les principes du Toumo, c’est ainsi se départir de sa zone de confort habituelle et s’adapter aux aléas de la vie, tout en se connectant profondément à l’émotion de la sacralisation. 

 

Les enseignements de Maurice mettent en avant l’idée de “trouver le confort dans l’inconfort”, à la fois sur le tapis de yoga et dans la vie quotidienne. Entrer dans la confiance. Cette idée trouve une application primordiale dans la pratique, pour pouvoir émerger d’une condition dans laquelle nous sommes solidement enracinés. Maurice souligne la nécessité de réveiller l’homme primitif qui sommeille en nous, et ce, alors que l’homme contemporain est devenu dépendant du confort moderne et de la médecine, même s’il détient intrinsèquement les capacités de se prémunir des maladies et de vivre harmonieusement dans la nature. 

« Trouver le confort dans l’inconfort » témoigne de notre capacité à nous abandonner corps et âme à la proposition de transformation. Sans transformation, il n’y a pas d’avancement, pas de place pour ce qui est, c’est-à-dire le Soi. Vivre en Toumo, c’est donc sortir de sa zone de confort et s’adapter aux circonstances de la vie en se reliant à l’émotion de sacralisation. C’est un vrai travail mental qui accompagne le travail physiologique qui se met en place dans le froid ! L’identité provisoire que nous nous sommes construite vole en éclat, l’état d’esprit est ici capital pour avancer dans cette démarche yogique.

 

« Au cœur de la souffrance est l’enseignement. » Tibet

 

Ce qui peut initialement apparaître comme une souffrance extrême peut, en un instant, se métamorphoser en une source de transformation profonde. « Les événements ne sont jamais absolus. Les résultats dépendent entièrement des individus, le malheur est un tremplin vers le bonheur, un trésor, du génie pour l’homme habile, un abîme pour les faibles. » La souffrance des êtres humains est bien souvent déclenchée par leur ignorance du fonctionnement de leur pensée.

C’est une invitation à renaître, à soi-même, à la VIE. Ce parcours permet d’intégrer le nouvel être qui attend de s’épanouir et d’émerger. La question “Qui suis-je ?” trouve un écho puissant ici, en parallèle de “De quoi suis-je capable ?”. Dans cette exploration des lois de l’univers, nous découvrons les lois immuables qui ont été énoncées par les yogis. 

Le chemin du Toumo nous enseigne que c’est à travers les épreuves que nous puisons les forces et l’énergie nécessaires pour transcender notre être actuel. Cette démarche est un tapas, une forme d’austérité empreinte de joie et entreprise de manière volontaire, un choix délibéré que nous faisons pour avancer sur la voie spirituelle. Philippe a vécu des expériences extrêmes avec Maurice au cours des vingt années passées à ses côtés : une fois en Suisse, comme tous les matins, Maurice propose de partir en randonnée, chacun prépare ses raquettes et chaussures de marche, il se tourne vers Philippe et dit avec un grand sourire : « Nous deux nous partirons pieds nus », après plus d’une heure de marche dans la forêt sur la neige, Philippe demande à Maurice : « nous sommes bien sur le chemin du retour ? », Maurice éclate de rire et dit « nous venons à peine de terminer la première partie ». Ce jour-là, Philippe a mis plusieurs heures à récupérer ses pieds : « mais le temps où nos pieds étaient en feu, nous avons pleuré de rire. Ce sont des expériences incroyables, sensitives et émotionnelles débouchant sur un calme profond et un frétillement de chacune de mes cellules ».

 

« Si tu as perdu l’espoir, invente l’espoir. » Maurice Daubard

 

En voyage au Tibet, un lama a proposé à Maurice une mission : « Aider l’homme occidental à renoncer à ses peurs… ».  Alors Maurice n’aura de cesse de proposer à ses étudiants d’oser aller dans l’aventure de la vie, sortir nager à contre-courant ! Ne jamais renoncer à la vie, ne pas laisser les trains passer sous notre nez, mais bien sauter dedans et vivre l’aventure de la vie !

Et chaque session, chaque stage, chaque sourire est une invitation : chercher en nous à développer l’intuition. Intuition de la conscience de l’univers, intuition pour tout ce qui vit, intuition de chaque mouvement ou vibration qui flotte. 

Il nous met également en garde : « l’intuition ce n’est pas l’imagination et ses élucubrations ! » Ce sont des processus bien distincts. Et d’ailleurs, il nous est proposé de nourrir cette imagination de façons à pouvoir orienter notre processus de transformation dans la direction que nous souhaitons : « Lorsque la volonté est opposée à l’imagination, c’est l’imagination qui l’emporte, et jamais l’inverse. »

Et en conséquence, l’état d’esprit dans la pratique est fondamental : renouer avec les valeurs les plus nobles en nous-même permet de suivre ce chemin de transformation en toute sécurité. Ces valeurs, nous les portons tous en nous-même nous annoncent les Tibétains. Alors, suivez le chemin et laissez la naissance de l’exaltation vous transporter : c’est le plus beau cadeau que la pratique a offert à Maurice, et qui l’a amené à continuer à s’exposer quotidiennement, même après sa guérison. Bien sûr, en découlent nos choix de vie. (voir le livre de Maurice « L’exaltation du chemin » ) L’accueil du Toumo chez les étudiants de première année dans la formation d’enseignants de Yoga Babaschool n’est pas toujours un moment de fête ! Par contre, lorsque la béatitude s’installe après quelques expériences, tout le monde en redemande, conscient de l’incroyable efficacité de la démarche. Le cœur pur et la tête débarrassée de toute spéculations, nous renonçons à nos peurs. Ces moments de présence absolue restent en mémoire. La proposition première lors de stage de yoga doit être d’utiliser cette science comme un outil de transformation incroyablement puissant.

 

« Comment trouver de la tristesse dans une atmosphère ou la joie est partagée comme le pain et ou la victoire d’un seul est un succès pour tous. » Maurice Daubard 

 

Dans ces séjours en montagne, en groupe, face aux difficultés auxquelles les uns ou les autres faisaient face, Maurice n’avait qu’un but : que le pas franchi par l’un soit acclamé par tous. « Le monde a plus besoin d’amour que d’intelligence ». Car c’est d’Amour qu’il s’agit, de vivre, de ressentir, de laisser grandir en soi-même. Maurice nous invite à rêver ce monde, à utiliser ce qu’il considère comme la forme la plus puissante d’énergie en ce monde, notre pensée, pour créer et transformer le monde. Et faire brûler l’Amour qui est en soi, au cœur de soi comme un soleil pour se réchauffer et réchauffer les autres autour de soi.  Au sein de Soi, il n’y a de la place que pour une chose, ce feu intérieur qui brûle et anime l’amour et la compassion au cœur de la pratique de Toumo.

« Alors, c’est la Foi qui guidera vos pas » : mettre cet éclat et cette ardeur au service de la conscience universelle (le spirituel), ou comme le disait Ramana Maharshi  : « Mettre nos instruments, le corps et le mental, au service du Je intérieur. »

 

Conclusion :

 

Au-delà du rite de passage qui consiste à sécher des draps mouillés sur son dos, ou de faire fondre la neige grâce à la chaleur produite lors des pratiques, c’est bien de béatitude et d’illumination que l’on se soucie dans ces pratiques yogiques. La production de chaleur corporelle n’est que le signe extérieur de la bonne pratique de circulation d’énergie dans le corps, et du degré que le méditant a acquis dans l’art de faire circuler l’énergie à travers les canaux énergétiques du corps. 

Le toumo est traditionnellement enseigné pour faire l’expérience de phénomènes de « transfert de conscience vers un cadavre sans abcès suivi de sa renaissance ».  Aussi impressionnante que cette dernière formule soit, c’est bien à une renaissance à soi-même que nous sommes invités. Alors brisez vos carapaces, plongez dans le chaud, dans le froid, dans le silence, dans la solitude, dans le Tapas/Toumo pour ÊTRE.

A propos de Philippe :

Yogi Philippe Djoharikian, formé en sociologie & anthropologie, enseignant au DU méditation et santé de Montpellier, enseignant de yoga depuis 35 ans, amoureux du vivant et de la vie, directeur de l’Ecole de Yoga Baba School .

A propos d’Anne Laurençon (biographie complète dans le N° 94)

Docteur en sciences de la vie, elle travaille pour le CNRS,  Anne est enseignante de yoga, notamment de yoga Toumo, formée à l’Institut Maurice Daubard.

www.yogapartout.com/AnneLaurencon