Mécanismes physiologiques impliqués lors des pratiques de toumo – 2ème partie

Ce texte a été rédigé à la demande de l’association française  Fédération Inter-enseignements de Hatha-Yoga (FIDHY) et a été publié dans le “FIDHY Infos N°94 Juillet-Août 2023“.

Mécanismes physiologiques impliqués lors des pratiques de toumo - 2ème partie

par Anne Laurençon-Loviton avec la collaboration de Maxime Gamart

La pratique du toumo est aussi appelée yoga du feu intérieur,  car elle est associée à  des sensations corporelles de chaleur intérieure. L’amélioration de la résistance au froid est tout à la fois un critère de réussite de mise en œuvre des pratiques tibétaines et également un effet secondaire aux vues du pratiquant : ces pratiques sont avant tout des pratiques spirituelles. Visualisations, mouvements corporels et respirations permettent au pratiquant de faire monter le feu intérieur et de le diffuser dans le corps. Lors des pratiques, il y a une adaptation des réponses physiologiques aux expositions du corps au froid : nous aborderons ce que les scientifiques comprennent des mécanismes physiologiques à l’œuvre.

Quels sont les mécanismes d’adaptation au froid :

Dans le froid, les êtres vivants adaptent leur fonctionnement pour faire face aux pertes énergétiques. Les mammifères ont développé plusieurs stratégies, de l’hibernation à la création d’une couche de lard pour limiter ces pertes de chaleur. Pour les êtres humains devant maintenir une température corporelle interne de 36,8°, cela veut surtout dire activer les dépenses énergétiques pour se réchauffer. Notre manteau de peau et de muscles est un isolant thermique léger pour un homme nu dans le froid. Il semble cependant suffire : des populations aussi différentes que les Yamanas (Amérique du sud), les Bushmen (Afrique du sud) ou les Aborigènes (Australie) vivaient sur des périodes de 50 à 180 jours nus, à des températures hivernales entre +5 et -5°C.

Tous les corps suivent les lois physiques : la perte de chaleur subie dépend de plusieurs paramètres dont la conductivité thermique (celle de l’eau est 25 fois supérieure à celle de l’air), l’évaporation par transpiration et l’émission thermique à la surface du corps par convection. Passé une certaine température, il n’y a plus de transpiration si les corps sont inertes. Les corps se refroidissent tout en réchauffant le milieu dans lequel ils se trouvent. Sans protection extérieure pour éviter la diffusion de cette chaleur produite par le corps, elle se dissipe et réchauffe le milieu extérieur. D’où l’intérêt de se couvrir de poils ou de fourrure qui permettent de créer une couche de surface  limitant la perte calorique. Lorsque nous avons la chair de poule, ce sont nos mécanismes d’horripilation qui sont à l’œuvre pour permettre de créer une couche d’air entre notre peau et le milieu extérieur grâce à notre couverture pileuse. Si tant est que nous ayons encore des poils…

Un autre mécanisme permettant de réduire cette déperdition de chaleur est la constriction des vaisseaux sanguins périphériques (vasoconstriction). C’est une première ligne de défense lorsque le corps est saisi par le froid, ce mécanisme concentre notre chaleur au centre du corps pour protéger les organes vitaux. Une vasodilatation induite par le froid  peut également s’installer, elle entraîne  la paralysie des muscles des parois des vaisseaux et un changement hormonal. Cette réaction permet de s’exposer au froid tout en maintenant la diffusion de la chaleur jusqu’aux extrémités. Elle survient plus tôt et dure plus longtemps chez les gens qui s’exposent régulièrement au froid.

Toutes les cellules du corps sont capables de produire de la chaleur. En dessous de 35° en interne, le corps est déclaré en hypothermie : en dessous de 30°, nous perdons conscience. Nous connaissons plusieurs mécanismes qui produisent de la chaleur supplémentaire pour faire face à une déperdition de chaleur. La contraction des muscles squelettiques, volontaire (bouger pour se réchauffer) ou involontaire (déclenchement du frisson thermique) permet de réchauffer le corps. Le changement de métabolisme s’opère grâce à différents organes (foie, intestins, graisse) et à  plusieurs voies hormonales à l’œuvre : lorsque la température ambiante augmente, le métabolisme baisse et lorsque la température ambiante diminue, il s’active pour produire plus de chaleur. Pour réguler la thermogenèse face au froid, la graisse brune est un acteur central.

Notre corps possède plusieurs types de graisses qui sont des réserves énergétiques. La graisse brune a pour particularité de pouvoir produire de la chaleur de façon décuplée. Contrairement à la graisse blanche commune qui s’oxyde dans le foie, la graisse brune oxyde ses composants là où elle se trouve, la majeure partie de l’énergie d’oxydation se transforme en chaleur. Elle est de couleur brune en raison de l’abondance des mitochondries dans lesquelles a lieu l’oxydation intensive des lipides. C’est la graisse brune qui permet aux animaux de nager dans les mers froides et de survivre pendant le sommeil hivernal.

L’accumulation importante de graisse brune empêche les jeunes mammifères de se refroidir excessivement lors d’un changement rapide de température à la naissance. Présente chez les nouveau-nés humains, elle a longtemps été considérée comme absente chez les adultes. Cependant, grâce à de nouvelles techniques d’imagerie, ces réserves sont étudiées activement  ces dernières années. Une exposition régulière au froid permet une conversion des graisses blanches en graisses dites beiges. Ce brunissement des graisses permet ainsi d’augmenter le métabolisme et donc la chaleur corporelle. Ce mécanisme métabolique régule non seulement notre température, mais également les processus inflammatoires. L’homéostasie de notre système énergétique dépend de cellules immunitaires qui sont localisées dans ces réserves énergétiques. Ainsi la graisse brune agit comme un organe endocrine qui communique avec tous les autres organes et a un impact profond sur tout le corps. 

Impact des Pranayama

Notre corps régule les processus physiologiques aussi importants que la digestion, la circulation sanguine, la respiration et la thermogenèse grâce au système nerveux autonome. Toutes ses fonctions combinées avec le système endocrinien régulent l’homéostasie, c’est-à-dire la constance de nos valeurs physiologiques. Ce système est déclaré autonome, parce que vous n’avez pas besoin de penser pour digérer par exemple. Le corps prend en charge ces fonctions vitales. La seule porte d’entrée consciente sur cette horloge interne est la respiration, parce que nous pouvons en changer le rythme grâce aux muscles de la cage thoracique. En s’appuyant sur le système musculaire, nous pouvons ainsi influencer toutes les autres fonctions et jouer sur l’équilibre du système.

La respiration est donc un mécanisme central pour réguler la thermogenèse. L’air que nous respirons va permettre de distribuer de l’oxygène dans toutes les cellules. Au cœur des mitochondries, qui sont des organites spécialisés, l’oxygène permet la production d’une molécule clef pour notre énergie que l’on nomme ATP. Lors des réactions chimiques qui s’opèrent, il y a production de chaleur, c’est la thermogenèse obligatoire. En s’exposant au froid, le corps va réguler différemment ce processus notamment dans la graisse brune, et le gradient de protons, qui permet la formation d’ATP, va se dissiper et produire ainsi plus de chaleur.

Les techniques de respirations utilisées par les pratiquants de toumo sont diverses : elles permettent toutes de se réchauffer à un degré ou un autre. Deux études sur des pratiquants monastiques au Tibet permettent de faire des observations intéressantes. Les techniques de respirations utilisées se font avec des phases d’apnées accompagnées de visualisations, notamment des flammes qui montent graduellement jusqu’au crâne. Le résultat qui me paraît particulièrement pertinent, est une corrélation directe de l’augmentation de la température corporelle avec les durées de rétention poumons pleins (temps maximum de 2 min et 50 sec). L’autre observation qui me paraît tout aussi pertinente concerne la différence d’augmentation de température si les pratiques se font avec ou sans visualisation. Vous l’avez sûrement deviné, l’impact des visualisations est bien présent, tant dans les différences de température que dans les enregistrements de traces électriques cérébrales.

Que se passe-t-il physiologiquement lors des phases de rétention poumons pleins ? On peut imaginer qu’il y a moins d’oxygène circulant (hypoxémie) et également plus de dioxyde de carbone (hypercapnie). Cette hypercapnie pourrait favoriser une meilleure absorption de l’oxygène disponible. Si la circulation sanguine se fait de façon fluide, la chaleur se transmet sans provoquer de lésions thermiques. 

Un autre article d’intérêt concerne les pratiques selon la méthode Wim Hof : ce travail permet de faire le lien entre l’exposition volontaire au froid (couplée à des méditations et des phases d’hypoxie)  et le système immunitaire. Un groupe de personnes novices a été comparé à un groupe de personnes contrôle. L’étude montre que les personnes qui ont suivi les entraînements développent une réponse immunitaire très différente de celles qui ne sont pas exposées au froid. Lorsque leur corps fait face à l’injection d’une toxine bactérienne, leur système anti-inflammatoire est plus performant que dans le groupe contrôle, la réponse immunitaire innée à l’injection est forte. L’exposition au froid est d’ores et déjà une piste sérieuse pour intervenir sur les maladies auto-immunes.

Conclusion

Gérard Bittel, médecin chef du SRSAA, témoignait à propos de Maurice :« Je connais Maurice Daubard pour l’avoir examiné et observé. Je n’ai rien trouvé en lui, médicalement parlant, d’exceptionnel que le pouvoir de sa volonté et sa maîtrise. » Lorsque Maurice Daubard, condamné par la médecine à 18 ans, trouve la force mentale de reprogrammer son existence, il ne sait pas de quoi son corps est capable. Des années plus tard, ses paramètres physiologiques ne différaient en rien du commun des mortels. Plier plutôt que rompre, le corps a des ressources que nous ne connaissons pas. Les différents stress infligés au corps lors de la pratique (froid, hypoxie) participent à forger sa volonté et à moduler ses réponses physiologiques. La pratique régulière permet au corps de s’adapter et de développer la force mentale de celui ou celle qui s’engage. Les sorties quotidiennes, les immersions, nous permettent de retrouver nos pleines capacités dans un monde où la surprotection et le confort mettent en veilleuse nos capacités d’adaptation physiologique. De même, nous n’utilisons que marginalement nos capacités respiratoires : la pratique invite au développement de nos capacités pulmonaires, surtout quand l’occasion se présente de sortir en montagne, loin des pollutions urbaines.

A propos d’Anne Laurençon :

Docteur en sciences de la vie. Elle travaille pour le CNRS, l’institut de recherche fondamentale français. Elle pose des questions expérimentales sur de petits animaux, vers et mouches. Les thématiques sur lesquelles elle travaille sont en lien avec la dynamique des génomes, les mécanismes sensoriels, la durée de vie et le vieillissement. Anne Laurençon n’a pas la prétention de connaître les secrets sur les sujets qu’elle étudie. Elle se définit plutôt  comme une femme, une mère… rassurante (c’est son maître de yoga qui le dit !). Elle a entrepris en 2007 de partir en quête de qui elle est profondément, et ce chemin se décline sur tous les aspects de sa vie. Anne est professeur de yoga, notamment de yoga Toumo, formée à l’Institut Maurice Daubard.

patrickdaubard.com/toumo

www.yogapartout.com/AnneLaurencon

A propos de Maxime Gamart :

Maxime est enseignant d’activité physique adaptée dans un centre médical spécialisé dans les pathologies neurodégénératives. Il pratique le Yoga depuis 2005, l’enseigne depuis 2010 et a dirigé ses recherches personnelles et universitaires sur la pratique du Pranayama.

Description de la figure: Cette figure présente les dépôts adipeux, conçue à l’aide du programme BioRender. Le nourrisson présente une grande distribution de graisse brune, tandis que chez l’adulte, les zones où la graisse brune se trouve sont plus restreintes (régions cervicale, supraclaviculaire, axillaire et péri-aortique, paravertébrale et inguinale). Les cellules graisseuses sont schématisées du côté droit de la figure, au sein du tissu adipeux à gauche et sous forme de cellule individuelle à droite. Dans le tissu adipeux blanc, de nombreuses cellules immunitaires pro-inflammatoires sont présentes, tandis que leur occurrence est rare dans le tissu adipeux brun ou beige. En se déplaçant de haut en bas, on observe les cellules de graisse blanche, beige et brune : le nombre de mitochondries, responsables de la production d’ATP (source d’énergie) ou de chaleur (dans la graisse brune), augmente avec le brunissement des tissus. De plus, le nombre de gouttelettes lipidiques dans chaque cellule augmente également, ce fractionnement permet une meilleure activité métabolique de la cellule.